Le patriarche maronite Bechara Raï, chef de la principale communauté chrétienne au Liban, a annoncé qu'il accompagnerait en mai le pape François en Terre Sainte. Une visite qui provoque de vives réactions au pays du Cèdre.
Depuis qu’il a annoncé son intention d’accompagner, du 24 mai au 26 mai, le pape François en Terre Sainte - Amman, Bethléem et Jérusalem –, le patriarche maronite Mgr Bechara Raï, a déclenché une polémique au Liban, où il est la plus haute autorité spirituelle de la principale communauté chrétienne.
L’initiative de celui qui est également cardinal de l’Église catholique romaine est une première, puisqu’aucun dignitaire religieux libanais de ce rang ne s’est rendu en Israël depuis la création de l'État hébreu en 1948. En 1964, un patriarche maronite s’était bien rendu à Jérusalem, mais à l’époque, la vieille ville et l’est de la cité était sous contrôle jordanien.
D’aucuns au Liban se sont élevés contre un tel choix, rappelant que les deux pays sont d’un point de vue légal en guerre malgré un armistice signé en 1949. Ainsi, les ressortissants libanais qui se rendent sur le territoire israélien peuvent être poursuivis pour haute trahison.
Deux journaux proche du Hezbollah montent au créneau
Jusqu’ici, aucun homme politique libanais n’a encore frontalement critiqué l’initiative du patriarche maronite, dans un pays multiconfessionnel où les autorités religieuses jouissent d’une influence non négligeable sur la scène politique et la société. Toutefois, deux journaux proches du Hezbollah, le mouvement politico-militaire chiite qui prône la lutte armée contre l’État hébreu, se sont chargés de faire passer un message de désapprobation.
"Péché historique : Raï se rend en Israël", titrait samedi 3 mai "As-Safir", un quotidien pro-syrien et nationaliste arabe qui évoque "une normalisation" avec "l’occupant israélien". "La visite du patriarche des maronites, le poste spirituel le plus important en Orient, dans les Territoires palestiniens occupés [...], ne sert ni les intérêts du Liban et des Libanais, ni ceux de la Palestine et des Palestiniens ni ceux des chrétiens et du christianisme", explique le journal, qui décrit la démarche de Mgr Bechara Raï comme un "précédent dangereux". As-Safir se demande aussi si le patriarche ira "serrer la main des dirigeants israéliens, qui seront au premier rang pour accueillir le pape François à Jérusalem".
De son côté, "Al-Akhbar", le journal pro-Hezbollah, indique dans son édition de samedi qu’un groupe d'hommes politiques libanais "demandera à rencontrer Mgr Raï afin de tenter de le dissuader d'aller à Jérusalem, alors que la ville est sous occupation israélienne, car cela signifierait une normalisation avec l'occupant".
Un point de vue loin d'être partagé au Liban. "Cette polémique est inutile et vise à jeter le discrédit sur le patriarche, qui n’a aucune leçon de patriotisme à recevoir, pas plus qu’il n’a besoin de l’autorisation de quiconque pour accomplir son devoir tel qu’il l’entend", a expliqué un responsable politique maronite, membre d’un parti politique libanais, à FRANCE 24 sous couvert d’anonymat.
Le patriarche "n’a pas pour objectif de signer un traité de paix avec Israël"
Actuellement en visite en France, le patriarche a quant à lui expliqué sa démarche à l’AFP. "Il ne s'agit en rien d'une visite politique mais religieuse. Le pape se rend en Terre Sainte et à Jérusalem. Il va dans le diocèse du patriarche [Mgr Raï est patriarche maronite d'Antioche et de tout l'Orient, NDLR], et il est normal que ce dernier l'accueille", a-t-il déclaré. "Il est normal aussi que le patriarche aille visiter les paroisses de son diocèse". Selon le centre catholique d'information au Liban, près de 10 000 maronites résident en Terre Sainte.
Plusieurs membres éminents du clergé maronite se sont exprimés dans les médias ce week-end, pour dénoncer les attaques contre Mgr Bechara Raï. Le patriarche "n’a pas pour objectif de signer un traité de paix avec Israël", a répliqué, dimanche 4 mai , l’évêque maronite Samir Mazloum, interrogé par la chaîne de télévision libanaise OTV. Le directeur du centre catholique d'information (CCI), le père Abdo Abou Kasm, a tenu à rappeler dans un communiqué que le patriarche, qui utilisera pour ce voyage un passeport diplomatique émis par le Vatican, ne rencontrera aucun responsable israélien au cours de sa visite. En revanche, il rencontrera le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas.
Le 2 mai, l'évêque Boulos Sayyah, le principal adjoint du patriarche, avait précisé que "depuis l'armistice en 1949, il est convenu que l'évêque maronite de Terre Sainte puisse se déplacer entre le Liban et la Palestine, en passant par la ville frontalière de Naqoura". Par ailleurs, "un accord tacite existe avec les autorités libanaises permettant aux [autres] hommes et femmes de religion d'aller en mission en Terre Sainte soit par les frontières terrestres [via la Jordanie], soit par l'aéroport de Tel-Aviv car il y a là-bas des fidèles et nous devons poursuivre notre mission", avait-il indiqué.
Deux ans après son élection par les évêques maronites, le patriarche avait déjà créé la sensation en participant, en février 2013, à l’intronisation du nouveau patriarche grec orthodoxe Youhana Yazigi à Damas. Il s’agissait de la première visite d’un patriarche maronite en Syrie depuis 1943. Son prédécesseur, Mgr Nasrallah Boutros Sfeir, avait toujours refusé de se rendre en Syrie, où vit pourtant une petite communauté maronite, à cause de son opposition au régime des Assad.