Enlevées dans leur lycée le 14 avril à Chibok, dans le nord-est du Nigeria, la plupart des 187 jeunes femmes aux mains des islamistes de Boko Haram auraient été mariées de force et emmenées dans les pays voisins, notamment au Cameroun.
Deux semaines après leur spectaculaire enlèvement dans un lycée de Chibok, dans le nord-est du Nigeria, 187 jeunes nigérianes restent introuvables. Le 14 avril à la tombée de la nuit, des hommes armés avaient attaqué leur établissement scolaire et capturé 230 lycéennes, selon des chiffres donnés par la directrice du lycée. Au fil des jours, plusieurs dizaines d’entres elles étaient parvenues à échapper à leurs ravisseurs, sautant des camions qui les emmenaient ou s’enfuyant en prétextant aller aux toilettes. L’enlèvement a été attribué au groupe islamiste Boko Haram, littéralement, en langue haoussa, "l’éducation occidentale est un pêché", qui rejette radicalement l’éducation des femmes.
Depuis l’attaque, l’une des plus bouleversantes depuis le début de l’insurrection islamiste dans le pays en 2009, les autorités nigérianes ne sont pas parvenues à localiser les lycéennes. À Chibok, une commune de l’État de Borno, fief historique de Boko Haram, des informations particulièrement inquiétantes circulent. Dans un entretien accordé à la BBC, Pogu Bitrus, le chef du conseil des anciens de Chibok, a expliqué craindre que les jeunes femmes aient été mariées de force aux membres de la secte islamiste, contre 2000 nairas (environ 10 euros). Il évoque également le fait que la plupart des lycéennes aient pu être acheminées dans les pays voisins, notamment au Tchad et au Cameroun.
Esclaves sexuelles
Des hommes armés ont été vus par des villageois, traversant la frontière accompagnés de jeunes filles, rapporte Pogu Bitrus. "Certaines d'entre elles ont été observées, traversant le lac Tchad, et d’autres ont passé la frontière menant à plusieurs régions camerounaises […]. Nous avons appris que l’un des ‘mariés’ avait amené sa ‘femme’ dans une ville camerounaise et qu’elle y est toujours", a-t-il déclaré à la BBC. Boko Haram a tiré profit de la porosité des frontières dans la zone, installant des bases arrières dans l’une des provinces au nord du Cameroun. Le mois dernier, de violents affrontements ont eu lieu entre le groupe islamiste et l’armée camerounaise.
Dans une vidéo diffusée en mai 2013, Abubakar Shekau, le chef de la secte islamiste, avait annoncé qu’il ferait des femmes et des filles capturées par ses hommes des esclaves sexuelles et des domestiques. "C’est une pratique médiévale", a dénoncé Pogu Bitrus dans son interview à la BBC. "En tant que leader de la communauté, je pousse un cri de révolte, je pleure, pour alerter le monde sur ce qui se passe ici et faire pression sur le gouvernement nigérian pour qu’il agisse et assure la libération des jeunes filles".
"Désastre monumental"
L’incapacité des autorités nigérianes à localiser les jeunes femmes a provoqué l’ire de la population. Mardi, les familles des victimes ont fustigé un échec des pouvoirs publics. "Il est invraisemblable que les ravisseurs circulent dans d’énormes convois avec leurs victimes depuis deux semaines sans qu’ils ne soient repérés par l’armée", a dénoncé Pogu Bitrus à l’AFP. Pour Enoch Mark, un habitant de Chibok dont la fille et les deux nièces ont été enlevées, le gouvernement "fait preuve d’indifférence face à ce désastre monumental". L’homme apparaît désemparé face à l’impuissance de l’armée à retrouver les jeunes filles.
Il a entrepris, aux côtés d’autres hommes de la communauté, de faire des recherches lui-même, en voiture et à moto. Les familles se sont cotisées pour acheter l’essence. "Lors de nos recherches, nous n’avons croisé aucun soldat", déplore Enoch Mark. Arrivé à une centaine de kilomètres de Chibok, il a dû faire demi-tour après avoir été prévenu que les islamistes étaient proches et assassineraient tous ceux qui s’approcheraient.
Les autorités nigérianes ont affirmé, la semaine dernière, avoir intensifié la surveillance de plusieurs zones frontalières. En vain. Une manifestation pacifique a été organisée lundi à Lagos, la capitale, devant le siège du gouverneur. "Nous ne pouvons pas rester silencieux et attendre, a déclaré Yahaya Chiwar, l’un des manifestants. Nous sommes ici pour vous rappeler votre engagement pour la sécurité des gens et des biens dans votre État."