
La Russie a voté le 1er mars l’envoi de troupes armées en Ukraine, notamment en Crimée, pour "stabiliser la situation dans le pays". Un enjeu politique pour Vladimir Poutine, qui considère l’Ukraine comme appartenant à sa sphère d’influence.
Si le vote rapide du Parlement russe, samedi, en faveur d’une intervention militaire en Ukraine, a été une surprise, la justification de Vladimir Poutine sonne, elle, comme une redite. Lors de son entretien téléphonique avec Barack Obama, samedi 1er mars, le dirigeant russe a invoqué le droit de protéger ses intérêts et ceux des russophones en Ukraine, s'ils venaient à être menacés. Selon les gardes-frontière russes, 675 000 Ukrainiens craignant pour leur vie auraient fui en janvier et en février.
Cette justification sécuritaire n’est pas sans rappeler celle invoquée lors de l’intervention militaire russe en Géorgie, en 2008. À l’époque, Moscou affirmait défendre ses citoyens dans la région de l’Ossétie du Sud. "C’est toujours le même système", analyse, sur France Info, Bruno Cadene, ancien correspondant à Moscou. "On vient défendre une minorité soi-disant menacée et on fait pression".
Dans une interview accordée au "Wall Street Journal", l’ancien président géorgien, Mikhaïl Saakachvili se place, lui aussi, en observateur de la stratégie rodée de Poutine. "Personne ne sait exactement quoi faire ici, mais Poutine, lui, sait exactement quoi faire. Ce qu'il cherche ici ? Le chaos. Il a de bonnes chances cette fois de couper l'Ukraine en morceaux. On s'oriente vers un conflit à grande échelle. Un très grand conflit intérieur. Il va alimenter les tensions dans certaines régions ukrainiennes. La Russie va essayer de balkaniser l'Ukraine !".
Éviter "un échec géopolitique majeur"
Moscou travaille depuis longtemps au maintien de l’Ukraine dans son giron. Pour Jean Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut français de géopolitique interrogé par FRANCE 24, "il s’agit de prendre le contrôle total de la Crimée. Au delà, il s’agit de définir un rapport de force avec le gouvernement ukrainien à Kiev. La Russie voulait et veut toujours satelliser l’Ukraine, analyse Sylvestre Mongrenier. L’éviction de Ianoukovitch représente un échec géopolitique pour la Russie et il y a la volonté de prendre au moins le contrôle d’une partie de l’Ukraine. Il y a la Crimée et peut-être plus. C’est véritablement du révisionnisme géopolitique. Une entreprise de redéfinition unilatérale des frontières qui sont issues de la fin de la guerre froide", ajoute-t-il.
"Le président russe a lutté contre les révolutions de couleur dans la région pour éviter un rapprochement des ex-pays du bloc soviétique avec l’Europe", analyse, pour le site Atlantico, Guillaume Lagane, maître de conférences à Sciences-Po Paris. "Avec Ianoukovitch au pouvoir en Ukraine, il se profilait une entrée du pays dans l’alliance eurasiatique voulue par Poutine, une zone commerciale regroupant des anciens pays de l’Union soviétique, dont le Kazakhstan et la Biélorussie ont accepté de faire partie."
"Poutine a tordu le bras du gouvernement ukrainien pour l’empêcher de signer un accord de partenariat avec l’Union européenne. La Russie souffle sur les braises" confirme Sylvestre Grenier.
Seulement voilà, les projets de Poutine ont volé en éclats avec la destitution du président Viktor Ianoukovitch, le 22 février, après trois mois de mobilisation place Maïdan. "La perte de l’Ukraine est un échec géopolitique majeur qui peut profondément heurter le pouvoir russe", poursuit Guillaume Lagane.
En effet, la région de Crimée, peuplée majoritairement de russophones, abrite toujours la flotte russe de la mer Noire, dans le cadre d'un accord entre les deux pays jusqu'en 2042. Cette république autonome au sein de l'Ukraine, qui s'oppose le plus radicalement aux nouvelles autorités en place à Kiev, a d'abord appartenu, au sein de l'URSS, à la Russie, avant d'être rattachée à l'Ukraine en 1954.