
Des étudiants à l'université Félix Houphouët-Boigny à Abdijan le 10 juin 2025. © Issouf Sanogo, AFP
C’est sur le parking de l’université Félix Houphouët-Boigny, à Abidjan, que Konan* nous a donné rendez-vous par un matin brumeux du mois de septembre. Mais, ce docteur en géographie diplômé depuis cinq ans n’y enseigne pas. Il conduit un VTC et “se débrouille” pour subvenir à ses besoins. Pour ne pas “perdre la main”, Konan continue de participer à des colloques ou à la rédaction d’articles - sans percevoir la moindre rémunération - dans l’espoir d’obtenir un jour un poste qui correspond à ses qualifications. “Dans ce pays c’est difficile si tu n'as pas de réseau pour avoir un travail. On a le sentiment que les autorités nous ont oubliés, les jeunes diplômés sont complètement laissés sur le carreau” déplore-t-il.
En Côte d’Ivoire, le taux de chômage des jeunes diplômés est de 15 %, contre 2,6 % pour la population globale et 4,8 % chez les jeunes. Un chiffre qui s’explique d’abord par la démographie du pays - 75 % de la population a moins de 35 ans. “La population active croît plus vite que les emplois” explique Germain Kramo, enseignant-chercheur à la faculté des sciences économiques et de gestion de l’université Félix Houphouët-Boigny.
Notre dossier complet sur l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire
Mauvaise orientation ?
Mamadou Touré, ministre de la Promotion de la jeunesse, pointe, lui, l’inadéquation entre le marché du travail et la formation des jeunes diplômés. “On constate qu’il y a une mauvaise orientation des jeunes au moment des études supérieures, alors qu’il existe de nombreux secteurs très porteurs - comme le BTP ou le numérique - où le pays manque de personnel qualifié.” Pour y remédier, son ministère a mis en place des programmes de stage en entreprise pour 140 000 jeunes par an, dont un permettant la reconversion professionnelle. Un investissement pour l’État, qui prend en charge – grâce à un financement de l’AFD et de la Banque mondiale - une partie du salaire des stagiaires. Une action récompensée par un taux d’insertion professionnelle pour ces programmes avoisinant les 75 %.
Mais, si les chiffres du chômage peuvent sembler faibles en Côte d’Ivoire, c’est parce qu’ils comptabilisent les 89 % d’emplois informels dans le pays, sans différencier les emplois décents des emplois précaires. “Emploi informel ne signifie pas forcément pauvreté ou précarité. On peut s’y enrichir” se défend Mamadou Touré, qui est aussi le porte-parole adjoint du gouvernement. “En termes de pourcentage, on a eu une baisse de 8 points du travail informel, mais cela signifie aussi qu’on a multiplié par quatre le nombre d'emplois formels” abonde-t-il. Néanmoins, d’après la Banque mondiale, le taux de jeunes ni en éducation, ni en emploi, ni en formation (Neet) en Côte d’Ivoire était estimé à 18,83 % en 2022. Pour les jeunes femmes, ce taux avoisinait les 25 %.
Immigration clandestine
Reste que le difficile accès aux emplois décents pousse certains jeunes sur les routes de l’exil. C’est ce que constate Florentine Djiro, présidente de l’ONG Realic - qui tente de sensibiliser les jeunes contre les dangers de l’immigration clandestine. Malgré la stabilité politique, ce fléau touche particulièrement la Côte d’Ivoire - qui est le cinquième pourvoyeur de demandeurs d’asile en France. “Ils disent tous vouloir partir parce qu’il n’y a rien ici pour eux.” Un argument que balaye le porte-parole adjoint du gouvernement : “Ce qui pousse les jeunes à partir, c’est le fantasme qu’ils pourraient avoir mieux ailleurs. Mais, ceux qui partent ne sont pas les plus pauvres - puisqu’on sait que la traversée jusqu’à l’Europe coûte en moyenne 9 000 euros.” Florentine Djiro pointe également du doigt la centralisation des activités économiques à Abidjan, qui aurait - selon elle – empiré au fil des crises traversées par le pays. “À Daloa, deuxième foyer le plus important de départ après Abidjan, il y avait une dizaine de scieries qui employaient les jeunes de la région dans le passé. Mais après la crise post-électorale de 2010-2011, au moins huit d'entre elles n’ont plus jamais ouvert leurs portes.”

Alors, les champs demeurent les principaux pourvoyeurs d’emplois à l’intérieur du pays - notamment ceux de cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier exportateur mondial. Les agriculteurs constituent ainsi deux tiers de la population active ivoirienne - là encore - principalement dans l’informel. D’après le Forum économique mondial, 60 % d'entre eux vivraient sous le seuil de pauvreté extrême et 90 % n'auraient pas accès à un salaire décent. Les autorités ont entrepris diverses mesures pour inverser cette tendance, notamment en augmentant progressivement le prix du kilo de cacao et en offrant la couverture maladie universelle aux planteurs. Cependant, ces initiatives peinent à produire leurs effets dans un contexte marqué par le changement climatique et la raréfaction des terres agricoles, qui a entraîné une baisse significative de la production de cacao ces dernières années.