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États-Unis : droit à l'avortement vs liberté d'expression

Dans un pays où de plus en plus d'États votent des mesures restrictives contre l'avortement, la Cour suprême américaine doit se prononcer sur une question polémique. Elle doit statuer sur le droit de manifester près des cliniques pratiquant l'IVG.

Plus de quarante ans après la légalisation de l’avortement, la Cour suprême américaine est de nouveau au cœur d’un débat autour de cette question très sensible aux États-Unis. La Haute-Cour doit revenir mercredi 15 janvier sur une affaire concernant le droit de manifester à proximité des cliniques pratiquant l’interruption volontaire de grossesse.

Depuis 2007, une loi de l’État du Massachussetts interdit les rassemblements à moins de 11 mètres de l'un de ces établissements. Cette mesure a été prise afin de protéger les femmes souhaitant avorter, ainsi que les médecins. En 1994 en effet, deux employés avaient été tués à l’extérieur d’une clinique de cet État.

Mais des militants "pro-vie" ont décidé de contester la constitutionnalité de cette loi en s’appuyant sur le premier amendement, garantissant la liberté d’expression. Comme l’explique Eleanor McCullen, l’une de ces plaignantes qui manifestent depuis 13 ans chaque semaine devant une clinique de Boston, cette "zone tampon" l’empêche de pouvoir communiquer avec les femmes qui veulent avorter. "C’est l’Amérique. Je devrais être capable de marcher et de parler tranquillement où je veux et avec qui je veux", a-t-elle déclaré sur le site de la radio publique NPR.

Pour les associations anti-avortement, ce genre de mesure est une entrave à leurs droits fondamentaux. "Il est temps que la Cour suprême mette fin à ces tentatives perverses de faire taire les orateurs pro-vie", a ainsi estimé auprès de l’AFP, Dana Cody, présidente de Life Legal Defense Foundation.

Des mesures de plus en plus restrictives

Toutefois les récentes décisions de la Cour suprême ne vont pas dans le sens des adversaires de l’avortement. Lundi dernier déjà, les neuf juges ont refusé de se saisir d’un appel concernant une loi interdisant l’avortement à vingt semaine de grossesse, confirmant ainsi de fait son inconstitutionnalité. Et en novembre, la Haute Cour n’avait pas voulu statuer sur l’échographie que l’Oklahoma voulait rendre obligatoire avant tout avortement, la déclarant là-aussi automatiquement illégale.

Les "pro-choix" se félicitent de cette attitude de la Cour suprême, mais tirent tout de même la sonnette d’alarme. Si l’avortement a été légalisé en 1973 à travers le jugement appelée "Roe V. Wade", de plus en plus d’États prennent des mesures restrictives contre l’IVG. Citée par le journal canadien "La Presse", Elizabeth Nash du Guttmacher Institute, centre d'études favorable au libre choix, décrit un véritable "assaut" : "L'année dernière, 22 États américains ont adopté 70 mesures restreignant l'accès à l'avortement, ce qui porte à 205 le nombre de dispositions de ce type approuvées depuis 2011. Le total est supérieur, en trois ans, à celui observé pour l'ensemble de la décennie s'étalant de 2001 à 2010".

Selon cette analyste, la multiplication des lois touchant le droit à l'avortement au cours des dernières années reflète l’influence grandissante d’élus locaux issus des rangs du Tea Party, la frange la plus conservatrice du Parti républicain : "Leur arrivée a eu pour effet de décaler dramatiquement vers la droite [sur le plan idéologique] les institutions législatives de plusieurs États".

Comme le résume le "New York Times", la décision de la Cour suprême sur le droit de manifester près des cliniques, attendue avant fin juin, n’est donc pas anodine : "Si la question légale posée à la Cour" est bien celle de la liberté d’expression, "ce qui est plus largement en jeu ici c’est la protection de l’accès des femmes à l’avortement, qui est attaqué à travers le pays autant par les législateurs que par les manifestants".