Molhem Barakat, un jeune photographe syrien, est décédé le 20 décembre alors qu’il couvrait des combats à Alep. Il vendait régulièrement ses clichés à l'agence de presse Reuters qui reste silencieuse sur les circonstances de sa mort.
Comment est-il mort ? Quel âge avait-il vraiment ? Était-il entraîné à couvrir les zones de guerres ? D’où provenait son matériel ? Depuis la mort, vendredi 20 décembre, du jeune photographe syrien Molhem Barakat, les questions s’accumulent, alors que les médias ont de plus en plus recours aux services de ceux que l'on appelle les journalistes-citoyens, ces lambdas qui s'improvisent souvent reporters de guerre.
Basé à Alep, Molhem Barakat avait été repéré au début de la contestation syrienne en photographiant des manifestations avec son téléphone portable. Depuis le mois de mai, il s’était équipé et collaborait très régulièrement avec l’agence Reuters en tant que freelance. Ses photos ont fait le tour du monde et ont été diffusées dans de nombreux titres de presse parmi les plus prestigieux.
Sa mort a été annoncée en premier, dans la nuit de vendredi à samedi, sur Twitter par des activistes affirmant qu’il n’avait que 17 ans. Un cliché de son appareil photo maculé de sang a fait le tour des réseaux sociaux.
RIP / @photojournalism: Syrian photographer Molhem Barakat killed in Aleppo, #Syria http://t.co/mIO2rY7LdW pic.twitter.com/tBj4cnLq6w
— Storyful (@Storyful) 21 Décembre 2013L’agence Reuters très peu bavarde
Il a fallu attendre le lendemain pour que Reuters confirme l’information via une dépêche très succincte qui n'a fait aucune mention de l’âge de Molhem Barakat : “Un photographe syrien indépendant travaillant pour Reuters a été tué lors d'un reportage sur les combats à Alep, apprend-on auprès de l'opposition. Molhem Barakat est mort vendredi alors qu'il prenait des photos d'une bataille autour d'un hôpital entre les rebelles et les forces loyales au président Bachar al-Assad”, indique seulement Reuters.
L’Agence France Presse (AFP), qui fournit plus de détails sur les circonstances du drame, affirme, de son côté, que le jeune garçon était âgé de 18 ans. Mohamed al-Khatib, un citoyen-journaliste basé à Alep et ami de Molhem Barakat, leur a uniquement confirmé qu’il était “très jeune”. "Lui et son frère sont morts en même temps dans la bataille [de l’hôpital] d'al-Kindi. Leurs parents n'avaient pas d'autres enfants", a également précisé Mohamed al-Khatib à l’AFP. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), 20 soldats et six rebelles ont été tués dans ces affrontements.
Malgré les nombreuses sollicitations des médias internationaux, Reuters a choisi de ne pas communiquer sur cette affaire. Stuart Hughes, journaliste spécialiste des questions internationales à la BBC, a toutefois obtenu une maigre réponse : “Nous sommes profondément tristes de la mort de Molhem Barakat, qui a vendu des photos à Reuters en tant que freelance. Afin de protéger au mieux les nombreux journalistes sur le terrain, nous pensons qu’il est inapproprié de commenter davantage pour le moment”, explique l'agence basée à Londres.
Une politique de l’autruche qui passe mal auprès de certains professionnels des médias, à l’instar de Corey Pein, un journaliste d’investigation et blogueur américain. “Ce n’est pas parce que Reuters qualifie Molhem de freelance qu’il était freelance au regard de la loi. Et qu’il l’ait été ou pas, d’un point de vue légal, l’agence a la responsabilité de s’assurer qu’il était préparé aux activités qu’on l’encourageait à poursuivre”, écrit-il, sur son site.
Preuve relative de son engagement envers Reuters, Molhem Barakat avait indiqué sur sa page Facebook qu’il travaillait pour l’agence, se considérant comme un employé.
Reporters de guerre ou journaliste-citoyen ?
Sans vouloir accabler Reuters outre mesure, Stuart Hughes et Corey Pein souhaitent avant tout ouvrir le débat sur les conditions de travail et d’encadrement des reporters de guerre. “Je sais que dans les zones de conflits la situation est floue. Si Molhem n’avait pas pris de photos, il aurait sûrement choisi de prendre les armes. L’équipe de Reuters en Syrie a certainement pensé qu’elle lui faisait une faveur, et d’une certaine manière je suis persuadé que c’était le cas. Mais ça ne leur donne pas le droit de balayer d’un revers de main les questions quant aux circonstances de sa mort”, poursuit Corey Pein, toujours sur son blog.
D’autant plus que Reuters applique des directives et une politique d’encadrement strict pour les reporters qui sont amenés à travailler en zone à risques. “La sécurité de nos journalistes, qu’ils soient employés ou freelance, est primordiale. Aucune image ni article ne vaut une vie sacrifiée [...] Vous ne pouvez évoluer dans des zones dangereuses qu’avec l’autorisation de votre supérieur [...] Les missions sont limitées à ceux qui ont l’expérience de ce genre de situation. Aucun journaliste ne peut être envoyé en mission sans avoir préalablement suivi notre cours d’entraînement sur les environnements hostiles”, stipule le règlement de l’agence publié sur son site internet.
Devant un nombre croissant d’agressions et d’enlèvements des journalistes, les rédactions du monde entier prennent de moins en moins le risque d’envoyer leurs reporters dans les zones difficiles. Moins expérimentés, sans protection, ce sont bien souvent les journalistes-citoyens, comme Molhem Barakat, qui rapportent l’information au péril de leur vie. En 2013, selon Reporters sans frontières, 37 d’entre eux ont été tués, la plupart en Syrie.