La rébellion qui agite le Soudan du Sud menace les champs pétroliers du nord du pays. Une instabilité qui, selon les experts, pourrait pousser le Soudan voisin, très dépendant de la manne pétrolière, à intervenir militairement.
Après plusieurs jours de vifs affrontements dans l’État d’Unity, les sociétés pétrolières, comme la compagnie chinoise China National Petroleum Corp (CNPC), ont commencé à évacuer leur personnel. Samedi 21 décembre, des centaines d'expatriés travaillant dans le secteur du pétrole, dont des Chinois et des Pakistanais, attendaient à l'aéroport de Juba, la capitale, les premiers vols en partance pour leurs pays.
Interrogés par "The Guardian", certains d’entre eux ont raconté l’ampleur des violences qui secouent la région depuis plusieurs jours. "Ce sont des Soudanais qui tuent des Soudanais", raconte au quotidien britannique Hassan Ali, un ingénieur pakistanais. "Ils s’entretuaient avec des pierres et des couteaux", témoigne l’un de ses collègues. Un autre rapporte quant à lui qu’un des assaillants coupait les mains de ses victimes.
Ces travailleurs expatriés affirment avoir compté au moins 16 morts, tous civils, lors des attaques. Au moment de leur évacuation, sur la route les menant à l’aérodrome, ils ont vu des douzaines de maisons incendiées.
Défection
Une flambée de violences qui, pour nombre d’experts, pourrait n’être que le début d’une guerre interne de grande ampleur. Au cœur des préoccupations : les champs pétroliers de l’État frontalier d’Unity sur lesquels les forces rebelles de l’ancien vice-président Riek Machar pourraient mettre la main.
"La richesse pétrolière" est un enjeu susceptible d'"exacerber l'actuelle lutte pour le pouvoir, a mis en garde Emma Vickers de l'ONG Global Witness. Si les forces rebelles s'emparent des champs pétroliers, elles tiendront le gouvernement en otage."
Samedi, le conflit qui oppose l’insurrection aux autorités de Juba a pris une nouvelle tournure avec le ralliement de James Koang Chol, le commandant de l'armée contrôlant l'État d'Unity, aux rebelles de Riek Machar. "Il y a des tensions au sein de nos forces, et j’ai compris que le gouvernement ne voulait plus de moi, que je n’étais plus des leurs, donc j’ai décidé de rejoindre un autre groupe parce que je ne peux aller nulle part ailleurs", s’est justifié le militaire au micro de RFI.
Le porte-parole de l'armée régulière, Philip Aguer, a cependant assuré que les forces loyales au président sud-soudanais, Salva Kiir, contrôlaient toujours l'État d'Unity et ses gisements d’hydrocarbure, et que seule la capitale, Bentiu, était aux mains des rebelles.
"Le pire des scénarios"
"Le pire des scénarios se réalise rapidement : les querelles politiques et personnelles dégénèrent en guerre civile, au cours de laquelle certains groupes ethniques sont la cible d'attaques répétées par les forces d'autres [groupes], et les rebelles prennent le contrôle des champs pétrolifères", prédit le co-fondateur de l’organisation Enough, John Prendergast, dans une tribune, signée conjointement avec l'acteur et militant George Clooney, publiée sur le site "The Daily Beast" .
"Le gouvernement de Khartoum a longtemps exploité les divisions du Soudan du Sud et apporté son soutien à différents groupes armés afin de semer la division et la destruction", soulignent les auteurs.
Khartoum, qui a dû accepter l'amputation de la partie sud de son vaste territoire au profit d'une nouvelle nation en 2011 sous la pression internationale, notamment de Washington, a déjà exprimé ses craintes d'une baisse de la production pétrolière chez son voisin et ennemi, car son économie vacillante en dépend. Le Soudan doit en effet recevoir en 2014 des taxes évaluées à 1,5 milliard de dollars (1,1 milliard d'euros) en échange de l'utilisation par le Soudan du Sud de ses oléoducs pour l'exportation du pétrole.
Risque de propagation du conflit
"Notre crainte est que cette guerre se propage à d'autres régions et à l'ensemble du Soudan du Sud", a déclaré vendredi le ministre soudanais de l'Information, Ahmed Bilal, estimant que le contrôle des champs pétroliers serait l'enjeu de ces combats.
"Sans aucun doute, l'un des objectifs de ces deux forces est d'essayer de prendre les champs pétroliers", probablement pour tenter d'accroître leur pouvoir de négociation, a-t-il estimé.
Au cours de la guerre civile (1983-2005), Khartoum avait soutenu des milices pour protéger les gisements de pétrole contre les forces rebelles du Sud, qui constituent désormais, depuis l'indépendance du Soudan du Sud, l'armée régulière sud-soudanaise. Plusieurs de ces milices ont été intégrées dans l'armée de Juba, mais à présent que des factions de l'armée font défection, certaines pourraient retourner à la rébellion.
Après des combats frontaliers sporadiques en 2013, les relations entre les deux Soudans ont connu une amélioration à la faveur d'une rencontre, en septembre, entre le président Salva Kiir et son homologue soudanais Omar el-Béchir, qui ont décidé de mettre en œuvre des accords sécuritaires et économiques.
Mais ces accords seront "très difficiles à appliquer s'il n'y a pas de partenaire à Juba", a mis en garde à l’AFP un diplomate étranger ayant requis l'anonymat.
"Le Soudan pourrait tirer avantage des conflits internes"
"Le Soudan pourrait tirer avantage des conflits internes qui s'exacerbent à Juba, en dépit d'assurances antérieures affirmant que les accords entre les deux pays ne seraient pas remis en cause par la crise", a estimé Ahmed Soliman, analyste du groupe de réflexion britannique Chatham House.
"Le régime soudanais pourrait profiter de l'instabilité dans les régions pétrolifères pour progresser d'une manière agressive vers les régions frontalières, s'emparer de quelques régions pétrolières du Sud, et s'assurer que les approvisionnements de pétrole continuent vers le Nord", abonde John Prendergast.
Selon des diplomates à Khartoum, les Soudanais n'ont aucun moyen d'arrêter le conflit. "Ils devraient éviter de s'impliquer, cela ne peut que mener à la catastrophe", a estimé l'un d'entre eux à l’AFP.
Avec AFP