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Avec "Run", la Côte d’Ivoire replonge dans une décennie de crise politico-militaire

Près de deux ans après la fin d’une décennie de crise politico-militaire en Côte d’Ivoire, le film ivoirien "Run" s’apprête à faire revivre ces événements. Un exercice cathartique qui entend également relancer l’industrie du cinéma dans le pays.

Près de deux ans après les crises politico-militaires qui ont agité leur pays entre 2002 et 2011, les Ivoiriens s’apprêtent à revivre ces événements sur les écrans. Avec son film "Run", actuellement en post-production, le cinéaste franco-ivoirien Philippe Lacôte signera le premier long-métrage sur ces violences qui ont fait des milliers de morts.

Le film retrace la trajectoire d'un adolescent, appelé à devenir féticheur de son village – une sorte de sorcier –, mais qui rejoindra finalement les "Jeunes patriotes", partisans particulièrement virulents de l'ancien président Laurent Gbagbo. Le personnage est interprété par Abdul Karim Konaté, comédien autodidacte des quartiers populaires d’Abidjan, qui a lui-même été témoin du conflit. "Ça me rappelle des moments que j'ai vécus pendant la guerre, raconte-t-il, entre deux prises, à l’AFP. J'étais là. J'étais à Yopougon, là où ça a vraiment chauffé. Donc, je peux dire qu'il y a des scènes qui ressemblent textuellement au vécu réel, pendant la guerre."

"Comment nous sommes arrivés à la violence ?"

Aussi le tournage peut-il s’avérer périlleux pour Philippe Lacôte tant le traumatisme demeure vivace au sein de la population. Alors que Laurent Gbagbo est actuellement emprisonné à La Haye, en attente d’un jugement de la Cour pénale internationale (CPI), au quotidien, les partis ivoiriens s’invectivent toujours par presse interposée. Un contexte on ne peut plus épineux.

"On a déjà eu des problèmes, reconnaît le réalisateur. On a tourné dans un ancien siège du FPI [le parti de l’ancien président] occupé aujourd’hui par l’armée ivoirienne. La presse du FPI nous a accusés de faire un film pour réunir des preuves contre Laurent Gbagbo."

Pas de quoi abandonner le projet. "Pour moi, ce qui est important, c'est de raconter des êtres humains, avec des failles, avec des espoirs, des trajectoires qui dévient un peu, et de se questionner. La question principale de ce film est : ‘comment nous sommes arrivés à la violence ?’", précise le réalisateur, déjà auteur d’un documentaire sur le quartier de Yopougon.

Comme le Nigeria

Mais outre cette ambition de vouloir s’inscrire dans l’histoire récente, "Run" entend jouer le rôle de rampe de lancement pour le cinéma ivoirien, lui aussi ravagé par ces années de conflit. Sur les 80 salles de cinéma que comptait alors le pays, seules deux sont encore exploitées.

Soucieux de relancer le secteur, le ministère de la Culture a financé le film de Philippe Lacôte à hauteur de 7 %. Le reste des fonds provient de France et d’Israël. Pour une mise totale de 1,8 million d’euros. "C'est un partenariat réussi dans le cadre d'une co-production, commente Mamidou Coulibaly-Diakité, président du Conseil de gestion du fonds de soutien à l'industrie cinématographique. C'est vraiment, pour nous, un film qui va marquer le retour sur la place nationale et internationale de la Côte d'Ivoire dans le domaine du cinéma."

À terme, le gouvernement ivoirien rêve d'une large offre cinématographique, à l'instar de celle, pléthorique, du Nigeria. "Run" doit sortir dans les salles européennes en 2014 et sera diffusé sur les chaînes africaines l'année suivante.

Avec AFP