Dans le nord du Cameroun, un fléau sévit encore dont les femmes sont les premières victimes : les mariages précoces et forcés. Dans une indifférence totale, des ONG se mobilisent pour lutter contre ce phénomène. Reportage.
Ce lundi 25 novembre marque la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Instaurée par les Nations Unies en décembre 1999, cette journée de mobilisation est l’occasion dans chaque pays de sensibiliser contre ce fléau.
Selon les chiffres de l’ONU, jusqu’à 70 % de femmes dans le monde seront victimes de violences au cours de leur vie et une femme sur cinq sera victime de viol ou de tentative de viol. On estime également que plus de 130 millions de filles et de femmes ont subi des mutilations génitales, principalement en Afrique.
Dans certaines régions d’Afrique, parmi les violences faites aux femmes, un phénomène perdure malgré la lutte des ONG et d’associations de défense des droits de l’Homme : le mariage précoce et forcé. C’est ainsi le cas dans extrême-nord du Cameroun, une région marginalisée et encore très ancrée dans la tradition. De nombreuses femmes y subissent cette pratique ancestrale avec de graves conséquences pour leur santé physique et mentale. Elles sont donc mariées de force et avant leurs 15 ans, l'âge minimum légal prévu par le code civil camerounais.
Dans l'indifférence générale, des ONG tirent la sonnette d'alarme et tentent de lutter contre ce fléau. Sarah Sakho, correspondante de FRANCE 24 au Cameroun, s’est rendue à Maroua, la capitale régionale, et a pu rencontrer des femmes mariées de force à l’adolescence, et d’autres femmes qui luttent pour empêcher ces unions.
"J’ai déjà gâché ma vie"
Izza est l’une d’elles. Elle a tenu à témoigner à visage découvert. "C’est mon père qui m’a forcée", raconte celle qui n’est encore qu’une adolescente. "Mais il a regretté après. Le premier jour, il [l’époux qu’on lui a imposé, NDLR] a cherché à coucher avec moi. J’ai refusé. Le deuxième jour, ce fut la même chose, on s’est bagarrés. C’est le troisième jour qu’il m’a eue", raconte la jeune femme le visage fermé, la gorge nouée. "Il m’a forcée, il m’a frapée partout, tellement que je ne pouvais plus bouger et c’est comme cela qu’il m’a violée", témoigne-t-elle. Elle raconte qu’elle aurait voulu fuir, mais que la découverte de sa grossesse l’a forcée à rester. "Je pense que j’ai déjà gâché ma vie", observe Izza avec amertume.
Le viol. Les coups. Le témoignage d'Izza est loin d'être unique. Là d’où elle vient, les mariages précoces sont légion : selon les statistiques des ONG qui luttent contre cette pratique, elle pourrait toucher jusqu'à une fille sur deux.
Parfois, certaines ont plus de chances qu’Izza et parviennent à fuir. C’est le cas de Cécile. "Un type m'a rencontrée et a subitement décidé de m'épouser, raconte-t-elle à FRANCE 24. Cela m’a poussée à m’enfuir de la ville. Je suis allée chez une cousine du côté de Garoua où j'ai passé deux ans avant de revenir. Là, c’est l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes (ALVF) qui m’a aidée sur le plan financier, sur plusieurs plans. Ils m'ont hébergée et ont payé ma scolarité. Et c'est comme ça que j'ai continué l'école."
Des ONG luttent contre les mariages forcés
Depuis plus de 15 ans, l’ALVF reçoit à Maroua les victimes du mariage précoce dans la région. Elles trouvent dans cette association l’écoute des femmes qui y travaillent. Iya Ngorso est l’une de ces assistantes sociales. "Nous offrons l'encadrement et le suivi des filles et des femmes victimes et des survivantes de ces mariages précoces et forcés, explique-t-elle. Elles sont victimes de violences physiques, psychologiques, économiques aussi. Certaines ont même pensé à certains moments au suicide, au cas où elles ne parviendraient pas à échapper à leur situation."
Pour permettre à plus de filles de retrouver le chemin de l'école, ce réseau d'ONG informe des communautés de femmes sur leurs propres droits pour changer les mentalités. Viviane Tassi-Bella est conseillère technique auprès du Service civil pour la Paix, l’une des ONG qui mènent cette lutte de longue haleine dans l’extrême-nord du Cameroun. De villages en villages, elle anime des ateliers auxquels assistent des dizaines de femmes.
"Quand un garçon veut avoir une fille, il attend qu'elle rentre du marché ou de l'école. Ensuite, il l'attrape, la viole et lui dit de rentrer chez elle, explique-t-elle à l’assemblée de femmes de tous âges qui l’écoute. Et comme les parents ne veulent pas de ça, certains d’entre eux rejettent la fille, et comme ça, il a sa femme. Est-ce que vous trouvez que ça c'est bon ? Non ! Ce n'est pas bon. C'est grave !"
"L'objectif de ce type d’atelier, c'est que ces femmes apprennent à reconnaître les violations sur les filles, et à développer des stratégies de lutte contre ces violations", explique-t-elle à FRANCE 24. "Notre rôle c’est de dire non à cela", insiste-t-elle.