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"Inside Llewyn Davis" : le nouveau "loser" magnifique des frères Coen

Avec "Inside Llewyn Davis", Joel et Ethan Coen dressent le portrait plein de drôlerie, d'affection et de mélancolie d'un chanteur de folk new-yorkais condamné à la vie de bohème. En salles ce mercredi en France.

Écrivain en panne d’inspiration dans "Barton Fink", tire-au-flanc au grand cœur dans "The Big Lebowski", professeur de physique quantique noyé sous les problèmes dans "A Serious Man"… La figure du "loser" irrigue la filmographie de Joel et Ethan Coen. Avec le magnifique "Inside Llewyn Davis", qui sort en salles mercredi 6 novembre, les frères réalisateurs donnent vie à l’un des plus beaux d’entre eux. Drôle et mélancolique, cruel mais empreint d’affection, le 16e film du duo avait remporté, lors du dernier festival de Cannes, l’adhésion du public et des jurés qui lui avaient décerné le Grand Prix du jury, sorte de Palme d’argent.

Parlons d’abord du casting. Avec sa distribution digne d’une couverture de magazine hollywoodien, le film des Coen avait offert l’un des tapis rouges les plus glamour de Cannes : Justin Timberlake, Carey Mulligan, Garrett Hedlund, Oscar Isaac…

Jusqu’alors inconnu au bataillon cinématographique, c’est ce dernier qui incarne avec la maestria d’un comédien expérimenté le perdant magnifique et anti-héros 100% Coen de ce film musical. Songwriter confidentiel de la scène new-yorkaise du début des années 1960, Llewyn Davis traîne sa vieille guitare sèche entre la scène du Gaslight Café et les petits appartements de Greenwich Village dont il squatte les canapés. Une vie de vache enragée que le chanteur, loin de s’y complaire, s’évertue à vivre par confiance en son art.

Galerie d'énergumènes

Le personnage a beau être fruste, mal luné, soupe-au-lait, il reste un artiste de talent qui, une fois sa guitare en main, révèle par ses gracieuses et intimistes chansons folk – brillamment interprété par l’acteur lui-même – la sensibilité enfouie en lui. Inspiré dans son art, Llewyn l’est moins dans la vie. Passablement agacé par ses congénères qui trouvent rarement grâce à ses yeux, il peut se moquer ouvertement d’autres musiciens, signer des cessations de droits d’auteur par-dessus la jambe ou piquer d’épiques gueulantes contre ses amis et logeurs réguliers qu’incarnent Justin Timberlake et Carey Mulligan, impeccable en brune et colérique amie aimante.

À sa décharge, les individus qu’il croise sur sa route sont de sérieux cas. Dans la galerie des énergumènes "coenesques" figurent, en vrac, un patibulaire jazzman héroïnomane (John Goodman) et son taiseux chauffeur (Garrett Hedlund), un manager radin (Jerry Grayson), un propret soldat qui pousse la chansonnette (Stark Sands) et, surtout, un chat fugueur nommé Ulysse qui finit toujours par échapper à sa vigilance.

Reste un personnage-clé qui n’apparaît jamais à l’écran. Par le passé, Llewyn Davis formait un duo avec un certain Mike sans lequel il peine à renouer avec le succès, fusse-t-il d’estime. Comme si en perdant sa moitié créatrice, il avait été privé d’une partie de sa sève artistique (faut-il y voir un clin d’œil à l’indéfectible collaboration des deux frères cinéastes ?).

Servi par une sublime photographie qui restitue subtilement la rigueur hivernale d’une vie de bohème, "Inside Llewyn Davis" s’avère le film le plus attendrissant des Coen. Sans pour autant se départir de leur espièglerie, les deux cinéastes dressent ici le poignant portrait d’un artiste qui, par son refus de la compromission, sera contraint de renoncer à sa musique, de faire une croix sur ce qu’il y a "inside Llewyn Davis".

Cet article est extrait du blog "24 minutes secondes sur la Croisette", consacré au festival de Cannes de mai dernier.