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Olivier Py : "Avignon ne doit pas être le festival de quelques privilégiés"

Il est l’homme incontournable de la vie culturelle, en cet automne 2013. Quatre opéras à mettre en scène, le festival d’Avignon à diriger... Olivier Py est partout. Il trouve même le temps de mener une offensive médiatique. Rencontre.

Le quotidien d’Olivier Py, en cette rentrée 2013, est un long marathon. Des journées qui n’en finissent plus, entre les répétitions de mises en scène d’opéra*,des déplacements hebdomadaires à Avignon pour préparer le millésime 2014 du plus grand festival de théâtre du monde, dont il est le nouveau directeur et pour lequel il écrit également une nouvelle pièce… Sans oublier les dates où il monte sur scène, drapé dans un personnage de travesti, pour chanter ses propres textes dans son spectacle de cabaret "Miss Knife". Le tout entrecoupé d'interviews.

Rencontre à l’opéra Bastille avec un metteur en scène prolifique et un directeur affairé, qui tient à rester artiste avant tout. 

FRANCE 24 : Metteur en scène d’opéra, directeur du festival de théâtre d'Avignon, mais aussi chanteur, réalisateur, écrivain… Comment vous définissez-vous ?

Olivier PY : Avant toutes choses, je suis un poète. C’est le plus fondamental, le plus central dans ma vie. Tout le reste est merveilleux, mais ça n’a pas cette place intime que peut avoir pour moi la vocation poétique. Qu’est-ce que ça veut dire un poète ? Je crois que c’est différent d’un écrivain. C’est quelqu’un qui essaie de recueillir un chant à l’intérieur de lui-même.

En prenant la tête du Festival d’Avignon, toute cette poésie va vous manquer ?

Avignon est un lieu de grande oreille pour les poètes. C’est même un poète, René Char, qui a eu l’idée du festival et qui l'a proposé à Jean Vilar. Il y a une place à Avignon, comme nulle part ailleurs dans la société, pour la parole poétique, dramatique ou pas.

Vous parlez de poésie et de chant. Vous êtes, paraît-il, un vrai féru d’opéra, au point d’en faire écouter à vos acteurs de théâtre.

Je ne leur fais pas entendre, je leur montre de l’opéra ! Il faut voir ces acteurs incroyables que sont les chanteurs d’opéra. Ce sont eux qui nous indiquent, quelques fois, comment jouer au théâtre. Ce qui nous manque à tous, et évidemment à l’acteur de théâtre, c’est la musique ! Le théâtre doit composer sa partition. C’est pourquoi le temps de répétition est parfois plus long. Dire ou chanter, c’est pareil au fond. Un grand acteur de théâtre doit chanter le texte, et un grand chanteur lyrique doit partir du sens des mots, de la langue, pas simplement de la partition et des notes.

A l’inverse, j’essaie que les chanteurs d’opéra ne deviennent pas des comédiens de cinéma ou de télévision. Un chanteur qui doit chanter Wagner et Verdi, a un rapport à son corps et au public très différent, dans des salles immenses ! Il doit créer un style de jeu qui est spécifique à l’œuvre qu’il joue. Il y a quelques opéras véristes, quelques œuvres psycho-réalistes, mais la plupart du temps, ce n’est pas la même chose qu’un scénario de film. J’essaie de rappeler cela aux acteurs : il n’y a pas une esthétique du jeu, il y a des esthétiques du jeu, propres à chaque œuvre. Que l’on joue Racine ou Claudel, que l’on chante Wagner ou qu’on joue dans un feuilleton télé, ce ne sont pas les mêmes esthétiques.

"J'ai des moments fétiches à l’opéra. Je montre toujours aux acteurs de théâtre Leonie Rysanek, l’une des plus grandes tragédiennes, une version d’'Elektra' filmée par Götz Friedrich, qui est pour moi un chef d’œuvre des films-opéras. Je leur montre aussi Maria Ewing dans 'Salomé', parce que ce qu’elle est à la limite de l’expérience humaine, à la fois physique et spirituelle…"

Je leur montre de l’opéra, et plein d’autres choses. Des chanteurs de jazz. Le chant soul est souvent très lyrique. Les chanteurs que j’aime sont lyriques, que ce soit dans la variété, le jazz ou l’opéra. Un chant qui emporte, dans lequel on se perd… et qui est forcément spirituel.

On vous attend sur le théâtre à texte, à Avignon. Qu’est-ce que vous voulez apporter au festival ?

Avignon doit rester fidèle à ses architectures originelles. Mais il y en a plusieurs, c’est ce qui est intéressant. Vilar a toujours réinventé le festival d’Avignon. C’est d’abord un festival fait de grands chefs d’œuvres classiques. Mais le théâtre et la littérature ne sont pas les seuls arts du festival d’Avignon. Le festival a invité d’autres arts, et a pris la forme qu’on voit aujourd’hui. Il faut arriver à tout prix à garder cette exigence artistique, très haute. Avignon est le phare des formes théâtrales qui sont plurielles. Ca va du texte au geste.

Avignon est un monde où la pensée et la parole poétique ont droit de cité. Le reste du temps, on s’intéresse peu à ces éclaireurs que sont les poètes et les artistes. C’est un moment d’exception, qui s’est inscrit dans le théâtre populaire, dans un dialogue avec son temps et avec tous. Quand on dit qu’Avignon est le lieu du théâtre populaire, ça ne veut pas dire que c’est le lieu du théâtre prolétaire. Il y a le rêve chaque été à Avignon que toute la société et toutes les classes sociales se retrouvent – aujourd’hui en plus, le public est international – et se réunissent autour de la parole des poètes, autour du geste des artistes.

Il faut donc travailler la médiation culturelle, pour qu'Avignon ne soit pas le lieu de quelques privilégiés qui viennent faire une villégiature provençale pendant le mois de juillet. Le jour où Avignon sera ça, Avignon sera mort. On est dans une société qui se communautarise, se segmente. Ce lieu de réunion qu’est Avignon, cette possibilité d’aller au théâtre, doit rester un oasis d’intelligence. La liturgie dans l’accueil du public est tout à fait différente de celle du théâtre bourgeois.

Allez-vous devoir abandonner l’une de vos activités, faute de temps ?

Non, pourquoi ? Je n’ai jamais rien abandonné. Le temps est extensible, ceux qui ont fait l’expérience d’avoir plusieurs passions le savent. Il ne faut rien abandonner dans sa vie. Mon professeur de philosophie me disait toujours : quand il y a à choisir entre deux choses, il faut toujours prendre les deux. Ça m’a guidé dans ma vie.

Vous médiatisez en ce moment beaucoup vos nouvelles fonctions. Y a-t-il un besoin pour vous d’expliquer, de faire œuvre de pédagogie ?

Je ne pense pas que l’art, la pensée, la littérature, aient aujourd’hui une place si importante qu’on puisse refuser l’espace de médiation qu’on leur donne. Quand j’allume la télévision, je vois surtout du sport, beaucoup de sport. Même sur les chaînes d’information aujourd’hui, il n’y a presque plus que du sport, et très peu d’information. La société marchande est une succession de pubs et de sport, de sport et de pubs. Si de temps en temps, il y a une petite fenêtre pour parler de l’âme et de la beauté de la vie, ça vaut le coup.
 

*A l'Opéra de Paris, Olivier Py vient de monter "Alceste" de Gluck, joué en ce moment à Garnier, il prépare "Aïda" de Verdi, pour des représentations en octobre à Bastille, les "Dialogues des Carmélites" de Poulenc au théâtre des Champs-Elysées en décembre, et à Bruxelles, le "Hamlet" d’Ambroise Thomas à la Monnaie.