![L'Arabie saoudite se lance dans la course aux Oscars avec "Wadjda" L'Arabie saoudite se lance dans la course aux Oscars avec "Wadjda"](/data/posts/2022/07/18/1658159435_L-Arabie-saoudite-se-lance-dans-la-course-aux-Oscars-avec-Wadjda.jpg)
Au moment où chaque pays présente "son" film pour être dans la sélection des meilleurs films étrangers aux Oscars, l’Arabie saoudite concourt pour la première fois, avec "Wadjda", long-métrage signé Haifaa al-Mansour. Une première à bien des égards.
"Wadjda", de la cinéaste Haifaa al-Mansour, n’a pas fini sa trajectoire si particulière dans le cinéma mondial. Ce film mettant en scène une petite fille qui se bat pour avoir le droit d’enfourcher une bicyclette, a déjà étonné les plus grands festivals du 7e art. C'est le premier long-métrage tourné en Arabie saoudite, dans les rues de Riyad, par une femme.
L’œuvre a déjà remporté le prix du meilleur long-métrage arabe au festival du film de Dubaï, le Prix France Culture Cinéma (catégorie révélation) au festival de Cannes, et a été ovationné à Venise l’an passé – il est reparti avec le prix du meilleur film Art & Essai, le prix CinemAvvenire et le prix Interfilm.
A présent, le royaume wahhabite va, pour la première fois, postuler aux Oscars avec ce film. Le fait que Riyad aille jusqu’à faire de cette petite fille l’emblème de son pays à Hollywood, est totalement inédit.
Le film doit cependant être soumis à une rude compétition : près de 80 pays dans le monde se positionnent actuellement dans la course aux Oscars. La France présente "Renoir", de Gilles Bourdos. Seuls cinq longs-métrages seront finalement sélectionnés pour concourir à l’Oscar du meilleur film étranger, le 2 mars 2014. Mais l’équipe de "Wadjda" n’est plus à ce défi près.
Riyad s’ouvrerait-il donc au cinéma et aux femmes ? Dans un pays où les salles obscures sont malvenues - une salle s’est ouverte en 2005 dans un hôtel de la capitale, mais elle ne projette que des dessins animés –, les films restent cantonnés à la télévision et aux vidéos-clubs, autrement dit à la sphère strictement privée. Le cinéma n’est pas enseigné à l’université. Quant aux femmes, elles n’ont pas le droit de conduire et doivent être accompagnées d’un homme de leur famille pour se déplacer hors de leur maison. La réalisatrice Haifaa al-Mansour fait figure d’exception.
Réalisatrice cloîtrée dans une camionnette
Après des études de littérature au Caire et des études de cinéma à Sydney, Haifaa al-Mansour a rôdé sa caméra en tournant des courts-métrages et un documentaire. Elle a soumis le scénario de "Wadjda" aux autorités saoudiennes, obtenu de l’argent de producteurs français, allemand et saoudien, et enfin décroché le permis de filmer.
Aucun autre film n’avait encore montré les rues de Riyad en plein jour. La réalisatrice y est parvenue en restant dans une camionnette, à l'abri des regards, et en dirigeant son équipe à l'aide d'un talkie-walkie. Elle s’est également aidée du casting : seule une petite fille peut se permettre de tourner une scène de film dans la rue.
Soutenue par le prince Al-Walid ben Talal, un membre progressiste de la famille royale, Haifaa al-Mansour est parvenue à faire passer les messages qu’elle souhaitait, avec subtilité et ironie. "En général, j’essaie de ne pas être trop offensive quand j’évoque des sujets qui me tiennent à cœur, tel que le problème du droit des femmes saoudiennes et la nécessité de leur accorder davantage de liberté. J’essaie de ne pas être trop rentre-dedans. Par exemple, avec "Wadjda", je raconte une histoire de femmes mais utilise une petite fille comme personnage", a-t-elle confié à FRANCE 24.
La réalisatrice parvient ainsi à évoquer les déchirements d’un couple autour de la polygamie, les non-dits et les interdits arbitraires imposés dans l’enceinte de l’école, les compromissions que font les adultes avec les règles religieuses. "Si un père saoudien voit le film et décide de donner quelque chose, même modeste, à sa fille, cela représenterait déjà beaucoup pour moi", espère Haifaa al-Mansour.
Le film, quoique jamais projeté en Arabie saoudite, semble avoir eu son petit effet. Au printemps dernier, la police religieuse a autorisé aux femmes de monter à bicyclette dans les lieux de loisirs comme les parcs publics, "à condition de demeurer revêtues de la abaya (longue robe noire traditionnelle)" et d'être accompagnées par un membre masculin de leur famille.