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Pierre Ballester : "La crédibilité sportive du Tour de France est nulle"

, envoyé spécial à Nice – Cette 100e édition de la Grande Boucle, marquée par la publication de nombreux ouvrages, est décriée par le journaliste Pierre Ballester qui parle de "mort" du Tour. Dans "Fin de cycle" l'auteur livre une charge virulente sur les arcanes du dopage.

"Fin de cycle : autopsie d'un système corrompu",  le titre du nouvel ouvrage du journaliste Pierre Ballester (Éditions de La Martinière) ne pouvait pas être plus explicite. L’auteur, dont le credo est la lutte contre le dopage, a publié, quelques jours avant le départ de la 100e Grande Boucle, un livre à charge contre le "système corrompu du cyclisme mondial."

Dans cette enquête féroce, le journaliste expose les complicités - actives et passives - de ceux qui ont laissé prospérer "l'imposture" Lance Arsmtrong, notamment les dirigeants du cyclisme qui s'en tirent à bon compte en stigmatisant un passé révolu, qui est pourtant le leur. Ballester, auteur notamment de l’ouvrage "L.A Confidentiel : les secrets de Lance Armstrong" s’arrête également sur la grosse machine qu’est le Tour de France. Selon lui, la Grande Boucle a perdu bien plus qu'un palmarès avec l'affaire Armstrong. C'est sa crédibilité sportive qui se trouve réduite à "néant." Ballester va même plus loin en affirmant "le Tour de notre mémoire collective est mort." Pourquoi ? L’auteur s’est confié à FRANCE 24.

FRANCE 24 : Le rapport de l’Usada [l'agence antidopage américaine qui a fait tomber Lance Armstrong, NDLR] semble avoir été à l’origine de votre nouveau livre ?

Pierre Ballester : Oui, il a eu un effet déclencheur. C’est la première autorité qui a exhumé les coulisses glauques du cyclisme. On allait au-delà du dopage, on était dans les manigances, les pots-de-vin, les conflits d’intérêt. C’était une invitation à aller plus loin, à creuser encore un peu plus.

Premier visé dans votre ouvrage l’UCI [Union cycliste internationale, NDLR] pour "Union des Conflits d’Intérêts"

L’UCI est la première responsable. C’est l’autorité du cyclisme qui régente tous les aspects du vélo. Donc je me suis focalisé sur elle, mais surtout sur ses présidents Hein Verbruggen et Pat McQuaid qui l’un après l’autre ont protégé Lance Armstrong.

Il y a des conflits d’intérêt, mais cela ne les choque pas. Ils vivent dans une impunité la plus totale. Il n’y a pas de contre-pouvoir ou d’organes de surveillance. Ils font ce qu’ils veulent en tout autonomie.

On s’aperçoit que le dopage n’est une contrariété pour personne ! Il n’y aucun intérêt à le combattre. Il n’entrave pas la croissance économique. Le cyclisme égale profit, peu importe son éthique et sa valeur.

À vous lire, on s’aperçoit que même la probité du laboratoire antidopage de Lausanne est mise en cause…

Le laboratoire prévenait l’UCI, qui elle-même alertait les coureurs sur les anomalies rencontrées lors des tests. Il y a un "foutage de gueule" total et permanent car personne ne peut les contrarier. C’est du cynisme à l’état pur. Personne ne peut leur mettre des bâtons dans les roues. Cela renforce leur sentiment d’impunité. À tous les niveaux (médecins, sponsors, politiques, médias) il y a connivence.

On nous renvoie des images de carte postale plein les yeux dans ce Tour de France 2013, mais cela cache la misère. Ça cache le fait que le cyclisme se casse la figure. Ce n’est pas parce que l’on s’est débarrassé de Lance Armstrong, que l’on s’est débarrassé du dopage, loin de là.

Vous pointez également du doigt ASO (Amaury Sport Organisation), organisateur de nombreuses épreuves cyclistes dont le Tour de France.

C’est impossible de dire qu’ASO ne savait pas ce qu’il se passait. Cela participe à la propagation du dopage. Ils ne s’interposent pas. Il y a un double langage en disant qu’Arsmtrong est une image réelle du passé, alors que l’on voit dans les staffs des personnes qui ont trempé dans des affaires de dopage. Mais les gens sont de moins en moins dupes.

Sur l’échelle des responsabilités, tout le monde est concerné. L’UCI, l’organisateur, les sponsors, les médias, la télévision… Il y a une forme de prosélytisme, on va toujours dans le sens du vent.

Le public est t’il lui aussi complice ?

Non, il n’est pas complice. Il est dupé. Mais il a l’amour du vélo, de l’animation et des paysages. La télévision a, depuis 2008, mis l’accent sur les paysages de France. C’est "le Tour de la France". Mais c’est un produit masquant. Le sport devient un alibi pour promouvoir des marques sur le bord de la route. La valeur sportive et la performance sont réduites à néant chaque année. On le voit bien, 10 des 13 derniers vainqueurs ont été déchus pour dopage !

Mais cela ne choque personne…

Non parce que cela a été avalisé mais la population l'a assimilé. Vélo égale dopage, donc le raccourci simpliste est de dire que c’est le meilleur des dopés qui gagne le Tour de France. Mais quand on en arrive là, on ne pense pas à ces enfants qui vont faire du sport…

La crédibilité sportive du Tour est donc nulle ?

Elle est à zéro. La preuve, les points forts mis en avant cette année sont les patrimoines mondiaux de l’Unesco qui seront traversés par le Tour. 

Qui a gagné le Tour il y a deux ans ? Personne ne peut le dire. Car déjà on n’en est pas sûr et il risque, qui plus est, d’être déclassé pour dopage a posteriori. Le sport n’a plus sa place dans le Tour de France.

C’est ce qui vous fait dire que le "Tour est mort" et que cela ne changera pas ?

Cela ne changera pas car cela n’en prend pas le chemin, notamment au niveau des instances internationales, des encadrements d’équipes. Il y a une sorte de transmission générationnelle de la culture du dopage qui est fortement ancrée dans le cyclisme. Il n’y a pas de rébellion.

Maintenant il s’agit de défendre le sport, pas de le protéger car c’est trop tard, le ver est dans le fruit. Je ne vois aucune révolution de palais possible. Même les interlocuteurs les plus avisés sont pessimistes. Pour moi, le Tour de France des exploits, celui des légendes comme Anquetil, Ocana, Bahamontes, Poulidor est mort. Or depuis 15 ans, quels souvenirs avons-nous du cyclisme ? Les affaires de dopage. Le Tour de France, tout le monde le bafoue et tout le monde s’en fout.

Pourtant, Armstrong a indiqué qu’aucune génération du cyclisme n’a été épargnée par la triche, par le dopage.

Oui, mais le dopage d'aujourd'hui change foncièrement la donne. Et surtout, les médias étaient moins nombreux. On se doutait de la triche, mais on la prenait sur un ton rigolard ! Maintenant c’est sérieux, parce qu’il y a eu des morts.

Le dopage à l’ancienne, même s’il est dangereux, n’était ni sophistiqué, ni prépondérant dans l‘activité du Tour de France. Il ne dénaturait pas la course. Aujourd'hui, il est impossible que le Tour se refasse une virginité sur le plan sportif.