
Le 10 février dernier, comme chaque année, des dizaines de milliers d'Iraniens célébraient la révolution islamique. Mais 30 ans après les événements, la plus jeune génération, moins concernée, profite différemment de ce jour férié.
En ce 10 février 2009, Téhéran fête le 30e anniversaire de la révolution islamique. Comme chaque année, des dizaines de milliers d’Iraniens défilent au son des chants révolutionnaires, brandissant le drapeau estampillé du mot "Allah" ("Dieu") en son centre. Les slogans n’ont guère évolué. "A bas Israël, à bas les Etats-Unis", peut-on entendre dans les cortèges, même si le président Mahmoud Ahmadinejad s’est dit récemment prêt à reprendre le dialogue avec Washington.
Au nord de Téhéran, des jeunes profitent autrement de ce jour férié. Ils se retrouvent pour une balade, un narguilé ou une marche en montagne. Certains osent se tenir par la main ; les voiles sont portés moins serrés sur les visages. Ces jeunes sont nés bien après l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny. Aller célébrer les 30 ans de la révolution islamique ne les inspire pas.
L’atmosphère est tout autre dans la ville sacrée de Qom, à 150 kilomètres au sud de Téhéran, l’un des plus grands centres théologiques chiites du monde. La maison de l’ayatollah Khomeiny, le père de la révolution, reste un lieu de pèlerinage très fréquenté. Nous sommes, dans cette ville, au cœur du pouvoir puisqu’en Iran, le pouvoir politique reste inféodé au pouvoir religieux.
Quelques membres du clergé osent toutefois, dans les limites acceptables de la liberté d’expression en Iran, critiquer le manque de démocratie. "Nous n’avons toujours pas de partis politiques indépendants du gouvernement dans le pays, se plaint le mollah Hojjatoleslam Mohammed Fazel Meibodi, un proche de Mohammad Khatami, l’ancien président réformiste. Et la presse indépendante ne bénéficie pas d’un grand écho dans la société. Les gens ne peuvent pas librement exprimer leurs opinions religieuses ou politiques."
Pour s’entretenir librement avec les gens, sans être interrompu par la police, l’armée ou les milices religieuses, le seul moyen reste ainsi d’aller chez eux. La famille Haghiri vit à Téhéran. Elle appartient à la classe moyenne, en pleine expansion depuis la révolution. Entrepreneur, francophone et francophile, Mohsen, le père, estime également qu’il est difficile de parvenir à une démocratie avec "cette forme de gouvernement, c’est-à-dire un guide suprême, des gardiens de la révolution qui ont tout le pouvoir, et un président de la République qui, lui, n’en a pas beaucoup." Il appelle pour autant à un changement en douceur, pas à pas, et non à une nouvelle révolution.
Caméra oblige, Mahvash et Saba, la mère et la fille, gardent leur voile alors qu’il n’est obligatoire qu’à l’extérieur. A 18 ans, étudiante en biologie, Saba est avide de culture occidentale. Comme des millions de jeunes en Iran, elle passe des heures sur Internet, à bloguer, chatter, s’évader. Rien ne l’arrête, pas même les sites bloqués par la censure iranienne, auxquels elle sait accéder. Saba consomme aussi beaucoup de séries américaines et trouve les DVD sur le marché noir. La génération de ses parents s’accommode en définitive mieux du régime islamique, même s’ils sont de plus en plus nombreux - laïcs ou religieux - à vouloir que les mollahs lâchent du lest, et que l’Iran se démocratise.
La Saint-Valentin tolérée
C’est un acquis de la révolution islamique. Tous les jeunes ou presque - filles et garçons, citadins et villageois confondus - vont à l’école, et beaucoup à l’université. L’Iran est un pays jeune. Deux tiers des habitants ont moins de 25 ans. Mais ici, comme ailleurs, le chômage frappe, et le diplôme ne suffit plus à obtenir un emploi. Nima, 23 ans et une licence de génie civile en poche, a ainsi décidé de reprendre ses études après avoir passé un an à chercher un emploi, sans succès.
A l’université de Téhéran, comme dans les autres campus du pays, les filles sont majoritaires. Sanna, 18 ans, est étudiante en droit. En optant pour cette spécialité, elle espère "travailler pour la défense des droits de l’homme et de la femme" et contribuer, de la sorte, au changement dans son pays. Etudiante en architecture, Marzieh, 23 ans, a une mère américaine et un père iranien. Elle a grandi aux Etats-Unis mais elle se sent mieux acceptée en Iran, même si le conservatisme religieux lui pèse parfois. "Je viens d’un pays où personne ne me dit comment je dois m’habiller ni comment je dois être. Je pense que cette situation rend tout le monde malheureux en Iran."
Contre toute attente, le régime tolère la fête de la Saint-Valentin. Peluches, chocolats, cœurs rouges et cartes d’amour s’exposent dans les vitrines des magasins. Dans un restaurant à la mode, un peu caché dans le centre de Téhéran, une soirée spéciale a été organisée pour l’occasion.
Livniz 28 ans et Sarah 25 ans sont de la partie. Ils n’ont rien d’un couple traditionnel. Ils ne sont pas mariés et sortent souvent ensemble le soir, sans chaperon. "Comparé aux premières années de la révolution, lorsque ma mère était jeune et voulait sortir avec des amis, c’est devenu beaucoup plus facile", confie Sarah, ingénieure. Un groupe de jeunes hommes est assis à une table voisine. Eux doivent cacher leur identité, car l’homosexualité reste passible de la peine de mort en Iran.
La campagne, où vit près d’un tiers des Iraniens, est en revanche un bastion conservateur. Dans le village de Gheytanieh, à une centaine de kilomètres de Téhéran, le président Ahmadinejad bénéficie d’un large soutien, comme dans les autres localités rurales. "C’est la deuxième fois qu’il vient nous voir et il fait de nombreux gestes envers l’agriculture", explique Gholam-Reza Abdollahi, fermier. Le président de la République islamique a, de fait, amplement distribué l’argent du pétrole aux fermiers, souvent sous forme de subventions directes.
Vaillante malgré ses 77 ans et de longues années de labeur, Zari Karami insiste pour faire visiter le village… et montrer ce qui reste des maisons de propriétaires terriens. Amorcée par le shah, la réforme agraire a été achevée par la révolution islamique.