La sénatrice démocrate Wendy Davis a passé 11 heures à discourir mardi devant les membres du Capitole d'Austin dans un seul but : retarder l’adoption d’une loi anti-avortement. Plusieurs centaines de manifestants sont venus lui exprimer leur soutien.
Pour Wendy Davis, la fin justifie visiblement les moyens. Cette sénatrice américaine appartenant au camp démocrate est parvenue à faire capoter mardi 25 juin, dans la douleur, la signature d’un projet de loi anti-avortement porté par les républicains dans l’État du Texas. Troquant ses habituels talons hauts contre une paire de baskets confortables, la quinquagénaire s’est adonnée, pendant plus de 11 heures, à un discours étayant ses arguments contre le texte. Son but : tenir jusqu’à minuit. Une technique d’obstruction parlementaire bien connue des élus américains qui consiste à rester à la tribune jusqu’à ce que la session parlementaire sur le sujet expire.
Interdiction de s’appuyer contre le pupitre, de prendre une pause, de manger ou encore d’aller aux toilettes, obligation de coller strictement au débat… Les règles de l’obstruction imposées par la Constitution sont rudes. Informé du véritable marathon parlementaire de Wendy Davis, le président Barack Obama a lui-même envoyé un petit mot d’encouragement via son compte Twitter.
19 voix en faveur du texte, 10 contre
Sur place, plusieurs centaines de manifestants soutenant l’élue démocrate se sont massés à l’intérieur du Capitole texan, à Austin, afin de perturber la séance et donc le scrutin. "Faites les sortir d’ici ! Le temps passe ! Je veux les voir tous dehors !" a invectivé en fin de soirée la sénatrice républicaine Donna Campbell. C’est également elle qui a réussi à pointer des irrégularités dans le discours de Wendy Davis, contraignant celle-ci à cesser sa diatribe.
Aux alentours de minuit, le vote a donc fini par avoir lieu malgré l’atmosphère chaotique. Sans surprise pour ce fief républicain, 19 voix ont approuvé le texte contre 10. Rapidement, les républicains ont crié victoire tandis que les démocrates ont martelé que le vote n’était pas valide car il s’était déroulé au-delà de l’heure fatidique. Pendant de longues minutes, la confusion a régné, jusqu’à ce que David Dewhurst, adjoint au gouverneur du Texas, concède la défaite à demi-mot : "Le vote s’est fait en temps et en heure mais avec toute cette agitation et ce boucan des manifestants, il m’a été impossible de signer le texte", a-t-il expliqué dans la nuit. Les outils informatiques du Capitole ont finalement permis d’établir que le vote avait bel et bien eu lieu trop tard.
Tentant de justifier ce revers, David Dewhurst s’en est pris aux manifestants. "Je n’ai en aucun cas perdu le contrôle [de la Chambre], nous avons simplement eu affaire à une mobilisation ingérable", a-t-il argué avant de demander expressément au gouverneur républicain Rick Perry de bien vouloir planifier une nouvelle session extraordinaire pour que l’adoption du texte soit légale et effective. Ce que l’intéressé devrait accepter.
"Une manière détournée d’interdire l’avortement"
En d’autres termes, la prouesse de Wendy Davis n’est qu’un sursis. L’adoption de la loi SB 5, qui prévoit notamment de réduire la période d’avortement à 20 semaines contre 28 actuellement, est donc toujours latente. En outre, le texte compte imposer une modernisation onéreuse des équipements et un changement de statut des établissements concernés. Toutes les cliniques pratiquant l’avortement devront devenir des centres médicaux ambulatoires. Les médecins qui y exerceront devront être rattachés à un hôpital de référence se situant dans un rayon maximum de 50 kilomètres. Un critère particulièrement difficile à remplir dans un État rural de près de 700 000 km2.
"Cette loi est une manière détournée d’interdire l’avortement au Texas. Si elle passe, elle obligera beaucoup de femmes à se résoudre à prendre des mesures dangereuses pour leur santé", estime Cecile Richards, fille du dernier gouverneur démocrate du Texas et présidente d'une association pour parents. Sur les 42 cliniques texanes pratiquant l’avortement actuellement, seules cinq seraient conformes à la loi SB 5.
Pour l’heure, Wendy Davis le sait : elle vient de remporter une bataille mais pas la guerre. Reste que, depuis plusieurs années, cette diplômée d’Harvard devenue elle-même mère à l’adolescence fait régulièrement trembler les républicains dans un État pourtant acquis à leur cause. Elle pourrait même, un jour, faire basculer les terres de la famille Bush dans le camp démocrate… En attendant, l’Amérique s’est découvert une nouvelle icône de la lutte féministe.