logo

Le général Rachid Ammar, "garant de la révolution tunisienne", prend sa retraite

Chef d'état-major des armées tunisiennes, le général Rachid Ammar, qui part en retraite, revient pour la première fois sur les événements que la Tunisie a traversés depuis la chute de Ben Ali, il y a deux ans et demi.

Tout un pan de l’histoire tunisienne s’est déroulée, lundi 24 juin au soir, devant les yeux des Tunisiens, alors qu’ils regardaient la chaîne privée Ettounsiya. Le général Rachid Ammar a dévoilé, durant une interview fleuve de trois heures, son rôle dans la marche du pays depuis la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011. Depuis deux ans et demi, le chef d’état-major interarmées avait gardé le silence. Mais à présent qu’il prend sa retraite, Rachid Ammar s’estime dégagé de son devoir de réserve.

Le rôle de Rachid Ammar durant les heures-clé précédant le départ de Ben Ali dans un avion pour l’Arabie saoudite a souvent été décrit comme crucial. Il est l’homme qui aurait "dit non" à l’ordre, émis par Ben Ali, de tirer sur les manifestants. "D’accord pour déployer les soldats, afin de calmer la situation, mais l’armée ne tire pas sur le peuple", aurait-il dit à l’ancien dictateur.

Rôle politique à la tête d’une armée neutre ?

Rachid Ammar occupait une position de force dans l’État tunisien. Il avait adressé un discours mémorable à la foule, durant les sittings de la Casbah de Tunis le 24 janvier 2011, et s’était présenté comme le "garant de la révolution des jeunes". "Nous veillerons à ce qu’elle arrive à bon port", avait-il clamé au milieu de la foule. Une déclaration qui lui valu le surnom de héros de la révolution. Ce fut sa seule intervention publique, avant l’interview donnée à Ettounsiya.

Rachid Ammar dévoile durant cet entretien avoir été contacté pour prendre la tête du pays, au lendemain du départ de Ben Ali. Une promotion qu’il dit avoir refusée fermement. Il a plaidé au contraire pour le respect de la Constitution, c’est-à-dire la nomination du président de la Chambre des députés, Foued Mbezzaâ, comme président par intérim.

Rachid Ammar a donc préféré être un homme de l’ombre, fidèle à la discrétion d’un corps militaire qui est mince en Tunisie comparé à la police, et attaché aux institutions. Il avoue pourtant avoir joué un rôle politique. "L’assassinat de Chokri Belaïd [le 6 février dernier] aurait pu signer l’acte de décès de l’État tunisien. L’initiative de Hamadi Jebali de former un gouvernement de technocrates était mon idée pour sauver le pays du chaos", affirme-t-il durant l’interview.

Le danger djihadiste

Pourquoi alors ce grand déballage médiatique ? Pour s’assurer un avenir politique, comme l’espèrent certains Tunisiens ? Ou pour sauver sa réputation après les attaques répétées dont il a été la cible, en tant que chef d’état-major des armées, en raison de l’échec de l’armée à débusquer les djihadistes du mont Chaambi (ouest du pays, près de la frontière algérienne) ? Un échec que plusieurs hommes politiques, dont le leader du parti Le Courant démocratique Mohamed Abbou, lui incombent personnellement.

Mais pour Rachid Ammar, le danger ne vient plus de ce lieu : "Au Jebel Chaambi, il n’y a plus rien ; les djihadistes qui s’entraînaient là depuis un an se sont repliés", a-t-il déclaré sur Ettounsiya. Le général ne minimise pas pour autant la menace djhadiste qui pèse sur le pays. "La somalisation de la Tunisie n’est pas à exclure", poursuit-il, en précisant que les djihadistes tunisiens sont en lien avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et ont pour objectif d’affaiblir l’État tunisien. Pour lui, l’échec de l’armée au mont Chaambi est dû à la déliquescence des services de renseignement non-militaires.

Rachid Ammar se positionne-t-il en général de Gaulle, sauveur de la Tunisie, ou en serviteur de l’État qui jette l’éponge ? Depuis lundi soir, les analystes politiques tunisiens cherchent à percer à jour celui qui est surnommé la "boîte noire" du 14 janvier 2011, celui qui n’a pas encore livré tous les secrets du changement de régime en Tunisie.