
Alors que le conflit syrien déborde au pays du cèdre, des combats opposent depuis dimanche des miliciens salafistes à l’armée dans la banlieue de Saïda, dans le sud du Liban. L'analyse de Khattar Abou Diab, politologue spécialiste du Moyen-Orient.
Ahmad al-Assir, un cheikh salafiste qui s’est fait connaître par ses prises de position véhémentes contre le Hezbollah chiite, est devenu l’ennemi public numéro un de l’armée libanaise. Les combats qui opposent depuis hier ses miliciens à l’armée près de sa mosquée à Abra, une banlieue de Saïda, la plus grande ville du sud du Liban, étaient toujours en cours lundi.
Au moins 12 soldats ont été tués dans les affrontements selon le dernier bilan communiqué par l’armée. Signe de la violence des combats, il s'agit des pertes militaires les plus lourdes enregistrées, en moins de 24 heures, depuis la guerre contre les islamistes du Fatah el-Islam en 2007. Selon plusieurs médias libanais, le bastion d’Ahmad al-Assir est cerné par l’armée, et celle-ci aurait même pénétré dans l'enceinte de la mosquée.
Pour comprendre ce qui se joue actuellement au Liban, FRANCE 24 a interrogé Khattar Abou Diab, politologue spécialiste du Moyen-Orient et professeur à l’université Paris-XI.
Quel est l’enjeu des affrontements qui opposent l’armée libanaise aux partisans du cheikh salafiste Ahmad al-Assir ?
Khattar Abou Diab : Ahmad al-Assir a franchit plusieurs lignes rouges, à savoir ouvrir le feu contre des militaires et appeler les soldats sunnites à faire défection. Un jeu dangereux car si à la longue cet appel est entendu, il pourrait remettre en cause l’unité des rangs de l’armée libanaise qui compte un très grand nombre de soldats sunnites. En réponse, les militaires se doivent d’envoyer un message fort et surtout ils se doivent de gagner cette bataille, et c’est ce qui est en train de se passer, afin de démontrer que l’armée reste capable, dans un pays sans gouvernement [le nouveau Premier ministre Tammam Salam, nommé début avril, peine à former un cabinet, NDLR], de garantir la sécurité dans le pays.
Sa crédibilité est en jeu, d’autant plus qu’elle est soupçonnée par une partie de la communauté sunnite, comme par exemple par le courant d’Ahmad al-Assir, d’être de mèche avec le Hezbollah. Il lui est notamment reproché de se garder de s’en prendre au parti chiite, en ne l’empêchant pas, par exemple, de franchir la frontière à sa guise pour aller combattre en Syrie. Elle se soit donc d’agir autant avec fermeté qu’avec sagesse car déjà à Tripoli, la grande ville sunnite du nord où le courant salafiste est très présent, la tension monte [ce lundi, des hommes masqués et armés ont coupé la circulation sur les grands axes routiers de la ville pour exprimer leur solidarité au cheikh Assir, NDLR]. En éteignant un incendie à Saïda, on risque d’en allumer un autre à Tripoli.
Comment expliquez-vous l’ascension de cet imam radical, méconnu il y a encore deux ans ?
K.A.D. : Ahmad al-Assir doit son ascension sur la scène libanaise à la crise en Syrie, qui lui offert une cause à défendre. Et son discours résolument hostile au Hezbollah l’a imposé comme l’un des principaux détracteurs du parti chiite. Ces postures l’ont popularisé auprès d’une partie de la communauté sunnite. Intrigués par ce salafiste caricatural qui fait du ski avec ses partisans et qui n’hésite pas à menacer Hassan Nasrallah, le puissant chef du Hezbollah, les médias lui ont accordé de plus en plus de place sur leurs antennes.
Toutefois, il n’a pas tardé à montrer son vrai visage, en se transformant en phénomène milicien et en paradant avec des hommes armés dans son pré carré constitué de sa mosquée et ses alentours. Et ce, à l’image du Hezbollah qui fait régner, grâce à son arsenal, sa loi dans ses bastions du Sud-Liban et dans la banlieue sud de Beyrouth.
Le scénario actuel joue-t-il en faveur du Hezbollah, qui affirme se battre en Syrie pour contrer le salafisme dans la région ?
K.A.D. : Le parti chiite n’est pas étranger à la montée des courants salafistes au Liban, dont celui d’al-Assir. Car en imposant ses volontés au pouvoir, en se comportant en vainqueur et en s’impliquant directement dans la crise syrienne aux côtés du régime de Damas, il a nourri les frustrations de la rue sunnite libanaise, qui soutient majoritairement la rébellion syrienne. En outre, en l’absence de leadership sunnite, puisque l’ancien Premier ministre Saad Hariri est hors du Liban depuis plusieurs années, les courants salafistes en profitent pour se présenter comme le rempart de cette communauté.
À terme, si la violence s’étend, le Liban pourrait faire face à une irakisation, c'est-à-dire à un conflit intercommunautaire sunnito-chiite généralisé, sur fond de crise syrienne, qui est à l’origine de cette affaire. N’oubliez pas que c’est de Saïda, grande ville sunnite d’un Sud-Liban majoritairement chiite, que sont partis les germes de la guerre du Liban, après l’assassinat de l'ancien député Maarouf Saad en 1975.