
La victoire éclair d’Hassan Rohani à l’élection présidentielle est peut-être un coup de communication génial. Ce n’est pas une raison pour ne pas saisir cette chance de reprendre le dialogue avec l’Iran.
La République islamique est insaisissable. C’est un régime paradoxal. Un esprit occidental, spécialement français, a déjà du mal à comprendre comment on peut être à la fois républicain et islamiste, concilier la liberté de conscience individuelle avec le dogme de l’infaillibilité du "Guide".
Ce régime vient donc de surprendre, une fois de plus, avec la victoire dès le premier tour de l’élection présidentielle d’Hassan Rohani, seule voix réellement dissonante de cette campagne. Bien sûr, il a fallu que le peuple lui accorde sa confiance. Mais ce n’est pas faire injure aux Iraniens - qui se sont fortement mobilisés, alors que les libéraux avaient d’abord songé à prôner l’abstention - que d’observer ceci : ce que le régime avait fait en 2009, en maquillant le résultat pour assurer la réélection d’Ahmadinejad, il aurait pu le rééditer cette fois-ci. Or, tout au contraire, avec une rapidité remarquable, la victoire de Rohani a été annoncée officiellement 24 heures à peine après la fermeture des bureaux de vote.
Certes, les milieux les plus réactionnaires, comme les Gardiens de la révolution, chercheront peut-être à faire invalider le président élu, mais il y a peu de chances que le Guide leur laisse le champ libre, sous peine de provoquer une nouvelle explosion populaire. Car l’Iran ne peut tout simplement pas se le permettre. Bien évidement, cette victoire est une colossale surprise, mais à bien y réfléchir le scénario a peut-être été écrit ces dernières semaines dans l’entourage de l’ayatollah Khamenei.
Le camp "conservateur" en pièces
Comment expliquer autrement que le camp dit "modéré" ait si bien su faire son unité derrière la candidature de Rohani, quand, dans le même temps, le camp appelé "conservateur" se présentait totalement en pièces, avec pas moins de cinq candidats ? Si vraiment le vœu sincère du guide était d’assurer la victoire de son "préféré" Said Jalili, ou au moins de quelqu’un de la même mouvance, n’avait-il pas les moyens d’obliger tout ce beau monde à composer derrière une seule personnalité ? Comment expliquer qu’après avoir autant triché en 2009, les "durs" n’aient même pas réussi à au moins sauver la face en ne concédant la défaite qu’après un second tour ?
Poser ces questions, c’est bien sûr y répondre. Toute affaiblie qu’elle soit diplomatiquement et surtout économiquement, la République islamique excelle encore en matière de communication. Pour elle, la victoire surprise du "mollah souriant" Rohani aura sans doute pour principal mérite d'attirer plus de sympathie dans les opinions publiques occidentales qui, jusqu'ici, acceptaient plutôt bien le principe de sanctions économiques sévères.
Le slogan de Rohani "À quoi sert de faire tourner les centrifugeuses si l’économie ne tourne pas ?" paraît avoir été inventé par un "spin doctor" pour impressionner les Occidentaux. Et si derrière lui se trouvent en effet ces millions d’Iraniens qui, il y a quatre ans, bravèrent si courageusement la répression dans ce "printemps vert", ne faut-il pas donner un petit coup de pouce à leur champion en allégeant le fardeau des sanctions qui étouffent l’économie ?
Situation plus délicate que face à Ahmadinejad
Tel est désormais le dilemme de Washington, Londres ou Paris. Si dans les mois qui viennent, Rohani prend des mesures libérales (par exemple en remettant en liberté les centaines d’opposants encore emprisonnés ou en résidence surveillée), s’il fait une nouvelle offre de négociation sur le nucléaire (mais sans rien céder sur le fond), les capitales occidentales seront dans une situation beaucoup plus délicate que face à Ahmadinejad et ses provocations sur la Shoah ou ses appels à "effacer Israël de la carte".
Que dire enfin d’Israël qui peut définitivement remiser ses plans de bombardement des sites nucléaires ? Tel est sans doute le calcul génial d’Ali Khamenei : lever "l’hypothèque libérale", en laissant Rohani faire la preuve qu’il peut faire mieux dans le domaine économique - le seul dans lequel il aura les mains complètement libres - lui laisser jouer une autre partition diplomatique dans les négociations sur le nucléaire, tout en sachant qu’aucune concession majeure ne peut être faite sans son accord.
Autrement dit, le régime ne fait que changer d’image, il ne change pas en profondeur. Complètement essoufflé tant face à sa propre opinion publique que face à l’opinion internationale, il ne pouvait plus faire autrement. Aux échecs, cela s’appelle "roquer". Le roi et la tour permutent face aux assauts adverses. Mais le roi reste le roi.
Cela ne veut pas dire que les Occidentaux doivent rester impassibles et ne pas saisir une chance, même faible, de reprendre le dialogue avec l’Iran.
À Téhéran, c’est sans doute une période de cohabitation qui commence. Si Rohani ne réussit pas à obtenir ce que les Iraniens attendent le plus, à savoir une amélioration de leurs conditions de vie, il sombrera vite aux oubliettes. Que pourra-t-il donner en échange d’un assouplissement des sanctions ? C’est toute la question.