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Les Grecs sont sous le choc depuis l'arrêt des chaînes de la télévision publique ERT, mardi soir. Une décision politique qui reflète l’échec du gouvernement dans sa politique d’austérité et de privatisation, estiment les observateurs. Décryptage.

"Triste et lamentable". C’est ainsi que Vandegleis Demiris qualifie la fermeture de la chaîne publique du groupe ERT, où il travaillait depuis 2001. "Cet arrêt brutal est digne de méthodes expéditives d’un autre temps", déplore sur FRANCE24 le reporter de 44 ans, qui fait référence à l'époque de la junte militaire au pouvoir en Grèce, entre 1967 et 1974.

À 20h11 GMT mardi 11 juin, les trois chaînes de télévision et des radios du service public de l'audiovisuel grec ont cessé d'émettre sur décision du gouvernement, qui a indiqué que l'ERT était l'exemple d'un "incroyable gâchis" et que sa suspension devrait permettre aux contribuables d'économiser de l'argent. Cette fermeture entraîne le licenciement de près de 2 700 employés, dont 677 journalistes. L'ERT, dont l'histoire remonte aux années 50, comprenait cinq chaînes de télévision, 19 radios périphériques, 35 centres d'émission et six studios à travers le pays, ainsi que l’intégralité des archives audiovisuelles du pays.

Grève générale de 24 heures

En mettant un terme sans préavis à cette institution, beaucoup y voient une atteinte à la démocratie, note Alexia Kefalas, correspondante de FRANCE 24 à Athènes, qui souligne que les Grecs sont toujours sous le choc, près de 24 heures après cette décision. Des milliers de manifestants ont afflué, mercredi, devant le siège de la radio télévision grecque dans la banlieue nord-est d'Athènes pour soutenir les journalistes et techniciens d'ERT - dont certains continuent de diffuser des émissions via Internet ou le canal analogique d'une télévision locale appartenant au Parti communiste grec KKE.

"Tous les Grecs sont affectés par cette mise à mort", estime Alexia Kefalas qui reprend le terme utilisé par les médias locaux. "Les chaînes privées ont d’ailleurs arrêté de diffuser des journaux, précise la correspondante de FRANCE 24. Pour soutenir leurs collègues, les journalistes grecs ont décidé d’observer une grève de 24 heures renouvelable". Les syndicats grecs du privé et du public, GSEE et Adedy, qui dénoncent un "coup d’État", ont appelé à une grève générale de 24 heures jeudi.

Correspondant à Bruxelles, Vandegleis Demiris n’est qu’à moitié surpris par cette situation car la chaîne n’avait pas renouvelé les contrats avec tous les correspondants depuis le mois de février. Mais il s’indigne de cette fermeture autoritaire qui est, selon lui, le signe que le gouvernement dirigé par le Premier ministre conservateur Antonis Samaras a perdu son sang-froid et a cédé aux menaces de la Troïka (les représentants de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du FMI, bailleurs de fonds internationaux de la Grèce). "L’ERT a été une cible facile", juge-t-il.

Au pouvoir depuis un an, le gouvernement de coalition est sous la pression de la Troïka, dont les hauts responsables sont à Athènes depuis lundi 10 juin pour contrôler les comptes grecs et la poursuite des réformes. La plus importante d'entre elles, toujours en retard, concerne la fusion d'organismes publics et le licenciement d'au moins 2 000 fonctionnaires d'ici fin juin.

"L’arrêt de l’ERT est un prétexte pur et simple pour atteindre cet objectif", estime auprès de FRANCE 24 Petros Linardos, économiste à l’Institut du travail basé à Athènes. "C’est aussi un moyen pour le Premier ministre de faire oublier l’échec de la privatisation de la compagnie gazière publique DEPA il y a deux jours", poursuit l’économiste.

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Risque de crise politique

La décision a été prise par la Nouvelle Démocratie du Premier ministre Antonis Samaras alors que les deux autres partis de la coalition gouvernementale, les socialistes Pasok et la gauche modérée Dimar avaient exprimé leur désaccord. "Ce problème de cohésion du groupe risque d’aboutir à une crise politique et pourrait entraîner des élections anticipées", note Vandegleis Demiris.

De son côté, le porte-parole du gouvernement grec, Simos Kédikoglou, a refuté, mercredi, toutes ces accusations lors d’une conférence de presse en arguant que cet arrêt était prévu depuis six semaines. Il a par ailleurs pointé du doigt les dysfonctionnements du groupe public de médias. "Tout le monde disait que l'ERT devrait changer (...), on n'avait pas d'autre choix, les journalistes de l'ERT étaient en grève depuis plusieurs mois", s'est-il défendu. Si Vandegleis Demiris reconnaît la lourdeur du groupe, il ne cache pas qu’il aurait préféré une restructuration en profondeur plutôt que de voir près de 3 000 salariés licenciés.

Afin de calmer la vague de protestation des journalistes, des syndicats, et de certains partis politiques, le gouvernement a promis de relancer l'audiovisuel public dans quelques semaines. Une version réduite de l'ERT va être relancée au plus tôt d'ici quelques semaines ou au plus tard cet automne, a indiqué Simos Kedikoglou. Il s’agirait d'une société anonyme publique appartenant à l'Etat, baptisée Nerit, qui disposerait "d'une indépendance rédactionnelle et de programmation". Vandegleis Demiris se dit pourtant inquiet pour l’avenir. "On va tous postuler mais seulement 1200 salariés seront embauchés, ça en laisse beaucoup sur le carreau".