Inauguré mardi à Marseille par François Hollande, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée entend, au-delà du passé, traiter des questions contemporaines, avec toujours le point de vue de l’autre rive.
Une passerelle relie l'imposant bâtiment au fort Saint-Jean, gardien historique du Vieux-Port de Marseille. Entre terre et mer, cette casbah d’un carré parfait, entouré d’une résille noire en béton à la façon d’un moucharabieh, a été imaginée par l’architecte Rudy Ricciotti. Il accueille le tout nouveau Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM). Inauguré, mardi 4 juin, par le président François Hollande, avant une ouverture au public prévue le 7 juin prochain, le MuCEM est le premier musée national entièrement décentralisé en région.
Au rez-de-chaussée, la galerie permanente de la Méditerranée pose d’emblée le ton. Si l’histoire a sa place, elle y est abordée de façon thématique, à l’image de l’invention de l’agriculture ou de l’épopée des trois monothéismes autour de Jérusalem. Mais surtout, elle n’exclut pas les références au présent. Dans la salle sur la citoyenneté et les droits de l’Homme, les bustes antiques côtoient ainsi un "mur d’expression" contemporain : sur l’écran géant, des femmes témoignent de la liberté d’expression dans leur pays. Parmi elles, la Syrienne Caroline Ayoub, la blogueuse égyptienne Shahinaz Abdel Salam et la physicienne tunisienne Faouzia Charfi.
it"Déplacer les cartes mentales"
"Notre propos principal est de traiter des questions contemporaines et sociétales sans se soustraire pour autant aux sujets qui peuvent faire polémique, comme le prouvent les expositions temporaires inaugurales", affirme Bruno Suzzarelli, président du MuCEM. "Au Bazar du Genre, Féminin-Masculin en Méditerranée" interroge ainsi les multiples façons d’être homme ou femme dans l’espace méditerranéen. "Nous avons retenu ce thème il y a trois ans, bien avant l’actualité législative en France, même si cela la recoupe en partie aujourd’hui, précise Bruno Suzzarelli. Cela montre que nous ne sommes pas un musée à l’eau de rose".
La majeure partie du second étage du MuCEM est consacrée à la très belle exposition "Le Noir et le Bleu. Un rêve méditerranéen". Traduite en arabe et en anglais, elle invite à un voyage du XVIIIe siècle à nos jours entre colonisation, tourisme, guerres, fascination réciproque. Devant le Bleu II de Miro, le commissaire de l’exposition Thierry Fabre explique que cette couleur symbolise "l’obstination de cette civilisation à rêver, malgré le chaos et la violence". "En allant voir comment l’histoire s’écrit en face, nous essayons de déplacer nos cartes mentales", poursuit-il. Ainsi, lorsque la campagne d’Egypte par Bonaparte est évoquée, le visiteur passe littéralement de l’autre côté du miroir pour se rendre dans la maison du grand chroniqueur égyptien Al Gabarti, où une toute autre histoire est contée. De même, la conquête de l’Algérie est-elle évoquée à travers le regard de l’émir anti-colonialiste Abdel Kader.
Partenariat avec le Maroc
À la fin du parcours, une œuvre contemporaine de l’Italien Michelangelo Pistoletto - une table miroir de la Méditerranée - évoque un possible monde commun. L’exposition, pour autant, se garde bien d’entretenir le mythe d’une identité unique. "Cela serait un non-sens tant la Méditerranée est plurielle, relève Thierry Fabre. Mais nous soulignons qu’au-delà des antagonismes montrés dans les actualités, il y a en profondeur des liens qui existent, une intensité des échanges".
Ces échanges, le MuCEM souhaite d’ailleurs les entretenir avec des partenaires de l’autre rive de la Méditerranée. "L’effervescence politique née des révolutions arabes ne rend pas la chose aisée mais il existe de réelles ouvertures", affirme Bruno Suzzarelli. En avril dernier, le président du MuCEM était du premier voyage officiel de François Hollande au Maroc, où il a signé avec la Fondation nationale des musées un accord pour accueillir une exposition sur les bronzes de Volubilis. Rendez-vous est donné au printemps 2014.