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Scrutin-test en Irak sur fond de campagne sanglante

La commission électorale irakienne a entamé le dépouillement des bulletins de vote des élections provinciales organisées samedi, un scrutin-test pour le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki qui doit faire face à la contestation des sunnites.

Au terme d’une journée de vote, samedi 20 avril, sans dysfonctionnements notables, la commission électorale irakienne a entamé dimanche le dépouillement des bulletins de vote des élections provinciales dont les résultats ne sont pas attendus avant le mois de mai. Pour ce premier scrutin depuis le départ des troupes américaines fin 2011, quelque 13,8 millions d'électeurs irakiens ont été appelés à se prononcer. La commission électorale a indiqué que le taux de participation était de 51%.

Ces élections doivent permettre aux Irakiens de renouveler les assemblées provinciales qui, dans le système fédéral irakien, ont un rôle déterminant. C’est à elles en effet qu’incombe la tâche de désigner les gouverneurs. Ceux-ci sont chargés de mener à bien les projets de reconstruction et de l'administration de leur province et occupent donc un poste-clé. Plus de 8 000 candidats se disputent un total de 378 sièges à prendre au sein des assemblées.

Vive contestation des sunnites

Mais les élections ont pris également une acuité particulière en raison du contexte politique. Nouri al-Maliki, le Premier ministre chiite, fait face depuis plus de trois mois à une vive contestation de la part des sunnites. Dans les régions où ils sont majoritaires, les sunnites manifestent depuis plus de trois mois pour réclamer la fin de la "marginalisation" dont ils s'estiment victimes. D'après eux, les autorités tendent à s'appuyer de façon démesurée sur les lois antiterroristes pour les viser eux plus que n'importe quelle autre communauté.

Aussi, face à l'instabilité, le gouvernement a décidé de reporter le vote à Ninive (nord) et Anbar (ouest), deux provinces majoritairement sunnites. "Nouri al-Maliki n’a pas eu de scrupules à exclure purement et simplement du scrutin les provinces sunnites, contre l’avis de tous les acteurs dont l’ONU", explique Myriam Benraad, chercheuse associée au Ceri-Sciences Po et à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabo-musulman (Iremam). "Le scrutin est donc bel et bien biaisé et Maliki ne reviendra pas sur sa décision puisqu’il a à sa botte les forces de sécurité et l’armée", ajoute-t-elle.

Une controverse entre les différentes communautés a également empêché la tenue du scrutin à Kirkouk, dans le nord, et les trois provinces du Kurdistan irakien ont leur propre calendrier. Au final, seules 12 des 18 provinces sont donc concernées par ces élections.

Campagne sanglante

Pour ce premier scrutin depuis le départ des troupes américaines, les autorités irakiennes devront avant tout montrer qu’elles sont à la hauteur du point de vue sécuritaire. Si elles sont loin du pic de violences interreligieuses de 2006-2007, les tensions entre la majorité chiite et les minorités sunnite et kurde restent fortes en Irak. Les extrémistes sunnites affiliés à Al-Qaïda ont intensifié cette année leurs attaques contre les chiites et les forces de sécurité dans l'espoir de déstabiliser le gouvernement de Nouri al-Maliki. Le mois de mars a d’ailleurs été le plus meurtrier depuis août 2012. Pour Myriam Benraad, "ces groupes armés veulent torpiller toute initiative du gouvernement, qu’ils considèrent comme illégitime car installé grâce aux Américains".

En outre, le climat électoral est propice en lui-même aux violences : toutes les élections depuis 2005 ont donné lieu à des violences meurtrières. Selon Ghati Al Zawbai, membre de la Haute commission électorale cité par le journal "La Croix", la campagne pour ce scrutin a été plus meurtrière que celles des élections législatives de 2010 et des élections provinciales de 2009. Pas moins de quatorze candidats, en grande partie des sunnites, ont été assassinés depuis le début de l'année et des dizaines d’attaques ont été perpétrées contre des réunions politiques. Le 15 avril encore, une vague d'attentats a fait 50 morts et plus de 300 blessés.

Il peut toutefois sembler étonnant que ces rebelles sunnites s’attaquent à d’autres sunnites. Pour Myriam Benraad, c'est parce qu'ils veulent s'en prendre au processus électoral dans sa globalité. "Ils considèrent Nouri al-Maliki comme un apostat [parce qu’il est chiite, NDLR], et les sunnites qui participent aux élections comme des traîtres", explique-t-elle.

Un scrutin test

Ces élections ont donc valeur de test à plusieurs niveaux. En premier lieu pour les autorités du pays, car elles permettront de jauger la popularité de Nouri al-Maliki. En outre, le déroulement et le résultat des élections permettra de "savoir si le nouvel Irak est capable de poursuivre sur la voie de la démocratie amorcée", observe Myriam Benraad. "Ce sera donc également un test pour les institutions du pays qui devront monter si elles résistent ou non aux tentatives d’instrumentalisation du pouvoir en place", poursuit la chercheuse qui rappelle que tous les scrutins depuis 2003 ont été entachés de fraudes et d’irrégularités.

Par ailleurs, l’efficacité du système fédéral est également en jeu. "Le fédéralisme en Irak a été pensé pour éviter précisément le centralisme du pouvoir à Bagdad et la tentation autoritaire, relève Myriam Benraad. On verra si les Irakiens choisissent à l’échelle de la province des dirigeants capables de tenir tête à Maliki." Pour la chercheuse, "le déroulement et le résultat des élections devraient ainsi permettre de confirmer ou d’infirmer le mouvement que semble se dessiner en Irak : à savoir un retour vers un pouvoir autoritaire".

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