Dans un rapport publié ce jeudi, l'ONG Human Rights Watch reproche à la Cour pénale internationale (CPI) et à la justice ivoirienne de ne poursuivre que des pro-Gbagbo à la suite de la crise post-électorale de 2010-2011.
La justice internationale se montre-t-elle trop indulgente avec le camp Ouattara ? C’est, en substance, ce que soupçonne l’association de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch (HRW) qui s’interroge, dans un rapport publié ce jeudi, sur la bienveillance de la Cour pénale internationale (CPI) à l'égard des poursuites engagées en Côte d'Ivoire contre les auteurs des crimes commis durant les violences post-électorales de décembre 2010-avril 2011. À l'époque, quelque 3 000 personnes avaient trouvé la mort dans les affrontements provoqués par le refus du président sortant Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite à la présidentielle contre son adversaire, Alassane Ouattara.
L’ONG s’étonne notamment du fait que la CPI ait "légitimé" l’inculpation par la justice ivoirienne de "plus de 150 personnes appartenant au camp de [Laurent] Gbagbo, [alors qu’] aucune poursuite n’a été engagée à l’encontre de membres des forces pro-Ouattara". Il s'agit d'une anomalie judiciaire inacceptable doublée d’une indulgence coupable de la part de la justice internationale, selon HRW, qui insiste également sur "l’inégalité" des "efforts déployés pour réclamer des comptes aux responsables de crimes internationaux graves."
L’association souligne en outre qu’à ce jour, seuls deux mandats d’arrêt ont été publiquement délivrés par la CPI. L’un concerne l'ancien président Laurent Gbagbo, arrêté en avril 2011 et transféré à La Haye sept mois plus tard, où il demeure en détention. L’autre a été émis à l’encontre de l’ex-première dame, Simone Gbagbo, actuellement retenue en détention préventive en Côte d’Ivoire. Tous deux sont inculpés de crimes contre l’humanité.
La réputation entachée de la CPI
Pour HRW, en effet, ces arrestations à sens unique entachent la "crédibilité" de la CPI. "Beaucoup d’Ivoiriens, y compris des dirigeants de la société civile ivoirienne, ont de plus en plus le sentiment que la CPI se livre à un 'jeu politique' en Côte d’Ivoire", constate ainsi l’association dans son rapport.
Interrogé par FRANCE 24, Philippe Bolopion, directeur de HRW auprès des Nations unies, enfonce le clou en dénonçant une "erreur" de stratégie de l'institution : "La tactique de la Cour pénale internationale était de se concentrer sur le camp Gbagbo avant de s’attaquer au camp Ouattara. Peut-être pour ne pas déstabiliser le pouvoir en place, je ne sais pas… Mais quelle qu’ait été son calcul, c’était une erreur. Elle aurait dû s’attaquer aux deux camps en même temps."
itUne stratégie d’autant plus incompréhensible que le président ivoirien Alassane Ouattara avait, en mai 2011, mis un point d’honneur à traduire en justice tous les responsables des atrocités commises durant les violences post-électorales, y compris dans son propre camp. "Il n’y aura pas de justice des vainqueurs. (…) Ceux qui doivent être jugés le seront", avait-il renchéri dans une interview au Figaro, en septembre 2011.
Réconciliation nationale impossible
En gage de sa bonne foi, le président ivoirien avait même mis en place une Commission nationale d’enquête chargée d’identifier les responsables des massacres commis durant la crise. Cette dernière "a pointé du doigt la responsabilité des deux camps dans les crimes commis en 2010-2011", souligne à son tour Maureen Grisot, correspondante de FRANCE 24 en Côte d’Ivoire.
Or, deux ans après son investiture, "Ouattara n’a pas honoré sa promesse, reprend Philippe Bolopion. Ses paroles ne se sont pas transformées en acte". Un manquement à la parole présidentielle qui pourrait nuire à la réconciliation nationale, estime celui-ci. "Il n’y a pas de justice pour les victimes du camp Ouattara (...) Si ces crimes ne sont pas punis, dans quelques années, ils se reproduiront. La Côte d’Ivoire pourrait à nouveau se retrouver dans de nouvelles situations de violences et d'instabilité."