L'ONG Human Rights Watch a recueilli les témoignages de sept Touareg torturés par des soldats maliens qui les soupçonnaient d'appartenir à des groupes islamistes armés.
Sept personnes âgées de 21 à 66 ans, toutes d’origine touareg, ont subi des sévices infligés par des soldats de l’armée malienne entre le 15 février et le 4 mars à Léré, près de Tombouctou, selon l’ONG Human Rights Watch (HRW) qui a publié cette semaine leurs témoignages.
Venant de leurs villages respectifs, les victimes ont toutes été arrêtées aux alentours du marché aux bestiaux de Léré, où elles s’étaient rendues afin de vendre des vaches. "Nous avions entendu dire que les soldats maliens maltraitaient les Touareg, mais que pouvons-nous y faire ? Nous n’avons pas d’autre choix que de vendre nos animaux pour survivre. Ce jour-là, j’étais confiant, à la fois parce que j’ai des papiers d’identité en règle et parce que mon frère m’avait dit que les Français étaient là…", a expliqué à HRW l'un des détenus, âgé de 31 ans.
Blessures durables et encore visibles
Coups de poing et de pied, brûlures et injections intraveineuses de substances corrosives… Les sept hommes ont vécu un véritable calvaire selon HRW, qui les a rencontrés à l’occasion d’une mission sur le terrain. L’un d’eux a même affirmé avoir subi une méthode de torture proche du "waterboarding" pratiqué en Irak par la CIA.
Plusieurs semaines après les faits, HRW fait état de marques de blessures durables et encore visibles : "L’un d’eux a perdu l’usage d’un œil après avoir reçu un coup de crosse de fusil au visage et un autre est devenu partiellement sourd du fait de nombreux coups de pied à la tête", relève notamment l’ONG. Les autres se plaignent de fractures et divers traumatismes, les nombreuses cicatrices faisant foi.
Remis à la gendarmerie malienne le 5 mars, les sept hommes affirment avoir, depuis, reçu des soins médicaux mais sont toujours incarcérés sans avoir pu contacter leurs familles ou recevoir une assistance judiciaire. Ils ont également dû se plier à de nouveau interrogatoires.
L’armée malienne a repris le contrôle de Léré fin janvier, grâce à l’opération militaire française lancée le 11 janvier 2013 pour libérer le Nord-Mali, tombé aux mains de groupes islamistes armés au printemps 2012.
Aggravation d’une situation "déjà difficile"
D’après HRW, les soldats maliens auraient infligé ces tortures car ils soupçonnaient les sept hommes de soutenir des groupes islamistes armés. "Le 5 mars, les victimes ont été emmenées de Léré à Markala, à 265 kilomètres de distance, où elles ont été photographiées avec des fusils d’assaut Kalachnikov, des munitions, des motos et d’autres prétendues preuves de leur association avec les groupes armés. Les sept hommes ont nié une telle association et affirmé que les armes et les autres équipements ne leur appartenaient pas", rapporte l’ONG.
Ces nouvelles exactions viennnent une nouvelle fois perturber le long chemin du Mali vers la paix, au moment où François Hollande estime que la France a "atteint ses objectifs" dans le pays. Avec un tel climat d’insécurité ajouté à l'instabilité politique, les élections, que le président français a pourtant souhaité voir organisées fin juillet, ne semblent pas être pour demain. "Nous serons intraitables là-dessus", a toutefois déclaré François Hollande jeudi soir à l’occasion de son grand oral sur France 2. Pour ce faire, le locataire de l’Élysée demande que soit instauré et respecté "un dialogue avec toutes les composantes de la société malienne."
Pour Corinne Dufka, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest à HRW, les graves sévices subis par ces Touareg ne doivent pas être ignorés. "Le recours à la torture par des soldats qui ont précisément pour mandat de restaurer la sécurité dans le nord du Mali ne peut qu’aggraver une situation déjà difficile", regrette-t-elle. "Le gouvernement malien devrait enquêter rapidement et de manière impartiale sur ces accusations et sur d’autres allégations d’exactions, sous peine de se retrouver dans une situation où son armée échapperait à tout contrôle et où les tensions intercommunautaires s’aggraveraient", prévient-elle.