![Superman version cairote vole au secours des femmes Superman version cairote vole au secours des femmes](/data/posts/2022/07/18/1658129601_Superman-version-cairote-vole-au-secours-des-femmes.jpg)
Les femmes disposent désormais d’un nouvel allié pour lutter contre le harcèlement sexuel en Égypte. “Supermakh” est un personnage de BD, dont la tâche est d’arrêter les agresseurs masculins.
Supermakh, c’est Superman version égyptienne, avec un look un peu moins lisse, une cape à fleurs et un slip blanc. Plutôt que de défendre la veuve et l’orphelin, le personnage de BD s’est vu attribuer pour tâche la protection des femmes et des jeunes filles victimes de harcèlement sexuel en Egypte.
“J’ai mis un peu de moi dans le personnage de Supermakh, et aussi un peu du citoyen égyptien, qui voudrait bien aider mais n’en est pas toujours capable. C’est un superhéros qui réussit parfois, mais pas à tous les coups...”, confie Makhlouf, le créateur de Supermakh dont les traits ressemblent étrangement à son héros.
Après une brève apparition dans le journal d’opposition El Doustour en 2007, la première aventure de ce superhéros à la sauce cairote a été publiée dans Tok Tok, premier fanzine égyptien lancé en janvier 2011, dont il a eu l’honneur de faire la couverture. Dans cette première histoire, un peu absurde et assez étonnante, Supermakh vient au secours d’une jeune femme qui tente de repousser les avances pressantes du père Noël. Grâce au superhéros, elle parvient à s’enfuir...“L’histoire a plu, et surtout aux filles”, poursuit Makhlouf.
On imagine que certaines se sont retrouvées dans le personnage de la jeune fille sauvée par Supermakh des griffes masculines mal intentionnées. En effet, selon un rapport de l’ONG égyptienne de défense des droits de la femme (ECWR) publié en 2008, 83% des femmes ont déjà été victimes de harcèlement sexuel en Egypte, faisant de cette question un vrai problème de société.
Mettre en lumière le harcèlement
Si, depuis deux ans, les médias internationaux et locaux rapportent des cas de harcèlements ou de viols collectifs lors de grandes manifestations sur la place Tahrir dans le centre du Caire, de nombreux autres se produisent chaque jour en secret, au Caire et dans le reste du pays.
En réaction, plusieurs initiatives citoyennes ont vu le jour, comme celle d’un groupe de jeunes qui s'est regroupé sous le nom de “TahrirBodyGuards” pour défendre physiquement les femmes dans les rues. Le mouvement OpAnti Sexual Harrasment fonctionne de manière similaire et la campagne Harassmap a quant à elle mis en place une carte interactive qui permet de localiser les agressions. Toute victime peut faire état de son cas, par simple SMS, mail ou tweet.
“À défaut de descendre dans la rue pour les protéger, j’essaie de soutenir les femmes à ma façon, avec mes dessins. Elles doivent rester libres. J’espère que cela est un peu utile”, indique Makhlouf, qui est aussi caricaturiste de presse.
Depuis, Tok Tok a aussi sorti un numéro spécial pour les femmes. “On n’est quasiment que des hommes à participer à Tok Tok, on voulait donc faire un numéro pour les femmes en Egypte”, raconte Mohamed Shennawi, un des fondateurs de la publication. "L’idée de départ n’était pas d’évoquer en particulier le harcèlement, on pensait même naïvement que cela allait donner un numéro ‘mignon’. Mais cela ne s’est pas du tout passé comme prévu : quasiment toutes les histoires que nous avons publiées évoquaient les problèmes de harcèlement, de violence domestique, de pression sociale... Parce que la vie aujourd’hui en Egypte n’est pas rose.”
Et le numéro a plu. Les lecteurs et lectrices ont apprécié que le fanzine aborde ces thèmes encore peu traités et le ton “révolutionnaire” adopté.
Superhéros contre super tabou
L’histoire de Supermakh, comme le numéro spécial de Tok Tok, contribue à la lutte contre le tabou qui entoure encore les agressions sexuelles en Egypte. “Ils contribuent à la popularisation de la thématique du harcèlement, estime Aymon Kreil, anthropologue basé au Caire. Grâce aux efforts des ONG et des révolutionnaires, le terme harcèlement est devenu aujourd’hui d’usage courant. “
La question du vocabulaire n’est en effet pas anodine : selon le terme employé pour décrire ce que subissent les femmes, on les place implicitement dans une position de responsables ou pas. Jusqu’à récemment, c’est le terme de “moakassa” (drague) qui était utilisé, une façon d’excuser ces comportements.
Pour Rebecca Chiao, une des fondatrices du projet Harassmap il s’agit avant tout d’arrêter de tolérer ces comportements : "Il ne faut plus rejeter la faute sur les victimes et trouver des excuses aux agresseurs. Non, ce n’est pas à la victime de changer de comportement, de rentrer chez elle ou de porter un voile qu’elle porte d’ailleurs déjà le plus souvent sur la tête."
Le fléau de l’indifférence
Aujourd’hui encore, les femmes qui témoignent font trop souvent état d’une indifférence de la part des passants. Selon Mohamed Shennawi, celle-ci procède de la peur : "il y a maintenant beaucoup de personnes armées et un citoyen ne risquerait malheureusement pas un coup de couteau pour défendre une inconnue.”
Et la police ? Selon les conclusions d’une étude de l’UNFPA en 2010, 96,7% des femmes interviewées en Egypte n’ont même pas cherché l’aide de la police, sachant d’avance que cela ne servirait à rien.
Les violences faites aux femmes ne sont pas nouvelles en Egypte. Depuis plus de 20 ans, des voitures sont réservées aux femmes dans le métro pendant les heures de pointe. En 2006, l’exposition des pratiques de viols collectifs a choqué l’opinion publique. Cependant, depuis le début de la révolution fin janvier 2011, la situation sécuritaire s’est empiré, la délinquance a augmenté, en l’absence quasi totale de forces de police dans les rues égyptiennes. De fait, les femmes aussi en souffrent.
Supermakh poursuivra lui ses aventures dans le prochain numéro de Tok Tok, qui doit sortir en avril. Il y sera notamment question d’une femme impliquée en politique….