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Bras de fer Trump-Maduro : le retour des cow-boys nord-américains de la CIA ?
Les États-Unis auraient tenté de recruter le pilote de Nicolas Maduro pour les aider à faire tomber le président vénézuélien, a affirmé l’agence AP mardi. Une histoire rocambolesque qui s’ajoute à la décision de Donald Trump d’autoriser la CIA à mener des opérations clandestines au Venezuela. Des développements qui rappellent les heures les plus controversées de l'action de la CIA en Amérique latine ?
Les États-Unis de Donald Trump semblent décidés à intensifier leurs actions, clandestines ou non, contre le régime de Nicolas Maduro au Venezuela. © Studio graphique France Médias Monde

Le 19 septembre dernier à 15h21, un avion Airbus, régulièrement utilisé par le président vénézuélien Nicolas Maduro, fait abruptement demi-tour 20 minutes seulement après avoir décollé de Caracas.

Ce changement de plan de vol soudain n’a pas manqué d’intriguer les détectives amateurs sur internet qui suivent les déplacements aériens du dirigeant vénézuélien.

Une photo, un complot et la paranoïa de Maduro

D'aucuns ont cependant noté que trois minutes très exactement auparavant, Marshall Billingslea, le sous-secrétaire adjoint au Trésor américain pour le financement du terrorisme, avait posté sur X une étrange photo du général Bitner Villegas, connu pour être le pilote de confiance de Nicolas Maduro, pour lui "souhaiter" bon anniversaire.

Cette simple photo a-t-elle pu pousser le président vénézuélien à donner l'ordre à son pilote de rentrer au plus vite à Caracas ? Une enquête de l’agence AP, publiée mardi 28 octobre, révèle que Bitner Villegas aurait été au centre d’un complot américain contre le président vénézuélien. Le Département de la Sécurité intérieure aurait cherché à recruter ce pilote pour aider à faire arrêter Nicolas Maduro, accusé de narco-terrorisme par Washington depuis mars 2020.

La photo postée par Marshall Billingslea n’est que le dernier acte de cette aventure rocambolesque et une sorte de revanche contre ce pilote qui n’a finalement pas voulu jouer le jeu des services de renseignement nord-américains. Il est même apparu à la télévision vénézuélienne fin septembre aux côtés du ministre de l'Intérieur qui a assuré que Bitner Villegas est et a toujours été loyal envers son président.

Pourtant, sur le cliché posté par Marshall Billingslea, Bitner Villegas est assis tout sourire sur un canapé… en train d’écouter son interlocuteur, coupé de la photo. De quoi nourrir la paranoïa de Nicolas Maduro.

Dans ce cas précis, elle aurait pu être justifiée car, si les informations obtenues par AP sont confirmées, la photo a été prise il y a plus d’un an lors d’une rencontre entre Bitner Villegas et un agent américain, raconte AP. Ce dernier aurait alors proposé au pilote argent, gloire et sécurité pour sa famille s'il acceptait de détourner un vol afin d’atterrir avec le président vénézuélien sur un territoire où les États-Unis pourraient arrêter Nicolas Maduro.

Contactés par l’agence de presse, ni Washington, ni Caracas n’ont confirmé les allégations. Outre des sources anonymes, AP affirme aussi avoir pu consulter des échanges par SMS entre l’agent américain et le pilote vénézuélien.

Car avant de refuser, Bitner Villegas semble avoir hésité. Il a fourni son numéro de téléphone à l’espion venu du nord, qui s’est montré très insistant. Lorsque Donald Trump a augmenté la récompense pour la capture de Nicolas Maduro à 50 millions de dollars, le pilote a reçu un message lui rappelant qu’il était encore temps de "rejoindre le bon côté de l’histoire".

Donald Trump comme Ronald Reagan ?

"C’est assez proche d’une affaire similaire, en 1960, lorsqu’un agent de la CIA avait tenté de convaincre un pilote cubain de faire s’écraser un avion avec Raúl Castro à son bord. À l’époque aussi, le complot avait échoué", souligne Luca Trenta, spécialiste des services de renseignement à l’université de Swansea, au Pays de Galles.

Ces nouvelles révélations interviennent aussi alors que le président américain a "autorisé la CIA à mener des opérations clandestines en Amérique du Sud" en août dernier.

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Bras de fer Trump-Maduro : le retour des cow-boys nord-américains de la CIA ?
© France 24
25:48

"C’est une sorte d’écho à la longue et trouble histoire des interventions nord-américaines, clandestines ou non, dans les affaires de pays d’Amérique latine", souligne Annette Idler, professeure associée à la Blavatnik School of Government de l’université d’Oxford et spécialiste des questions de sécurité internationale, qui a travaillé sur le Venezuela.

L’agence américaine a été particulièrement active en Amérique latine durant la période de la Guerre froide. Au nom de la lutte contre l’influence communiste, la CIA a participé à la chute de cinq régimes entre 1963 et 1981 (en Équateur, au Brésil, au Chili, en Bolivie et au Panama).

Elle a aussi soutenu financièrement et opérationnellement l’opération Condor, cette campagne de répression politique menée, dans les années 1970, par plusieurs dictatures d’Amérique latine contre des opposants de gauche.

"L’âge d’or des opérations clandestines en Amérique latine a eu lieu sous Ronald Reagan [1981-1989, NDLR]", note Luca Trenta. Après la chute du régime soviétique, la CIA semble s’être faite plus discrète. Plus de menace communiste, plus la peine d’intervenir ? En fait, "il y a une évolution et la lutte contre le communisme cède la place à des opérations contre le narcotrafic. La CIA continue à agir sur place et elle est loin de disparaître". En parallèle, une autre agence américaine, la DEA (Drug Enforcement Agency) se fait de plus en active dans la région.

Donald Trump donne l’impression d’être à la fois dans la continuité - officiellement, il s’agit de lutter contre le trafic de drogue dont le Venezuela serait selon lui une plaque tournante -, tout en faisant planer la menace d’une déstabilisation du régime de Maduro grâce à des actions clandestines

Le Donald Trump de 2025 est aussi très différent de celui de 2016 à 2020. "Il se montre beaucoup plus agressif et transparent dans ses intentions", souligne Luca Trenta. Durant son premier mandat, il y avait les fameux "adultes dans la pièce" qui tentaient tant bien que mal à contenir le président. Ainsi, CNN a raconté, dans une enquête publié mercredi 28 octobre, comment la CIA avait tout fait pour proposer des solutions moins radicales que ce que Donald Trump demandait déjà à l’époque : renverser Nicolás Maduro, si besoin par la force.

Opérations pas si clandestines

Cette fois-ci, c’est John Ratcliffe, un fidèle trumpiste, qui dirige la célèbre agence. En outre, "Marco Rubio, connu pour avoir des positions radicales quant à la politique des États-Unis en Amérique latine, est Secrétaire d'État", précise Annette Idler.  

Ce qu’il y a de vraiment unique dans l’escalade actuelle des tensions entre Washington et Caracas, c’est "que tout se fait complètement à découvert", affirment les experts interrogés par France 24. "Je ne vois pas ce qu’il pourrait y avoir de clandestins dans des opérations de la CIA qui sont presque annoncées à l’avance", affirme-t-elle.

"Au moins durant la Guerre froide, les États-Unis maintenaient la possibilité de nier toute implication dans des opérations clandestines. Cette fois-ci, ce principe de déni plausible n’existe plus", affirme Annette Idler.

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Cette approche qui va à l’encontre des règles élémentaires du travail d’agent… secret "démontre que l’administration Trump n’a qu’une compréhension très rudimentaire de ce qu’est la projection de force. Pour elle, c’est simplement frapper fort. Le reste c’est pour le spectacle", estime Luca Trenta.

"Cette publicité faite autour de l’autorisation des actions clandestines indique qu’il s’agit avant tout de faire passer un message en interne à la base électorale de Donald Trump pour lui montrer que le président est ‘fort’", précise Annette Idler.

Cette manière de faire risque, d’après elle, de se retourner contre les États-Unis. "Le risque est que le Venezuela décide de rétorquer en lançant des opérations sur le sol américain", craint Annette Idler. Surtout si, en plus, les révélations sur le complot pour "recruter" le pilote de Nicolas Maduro venaient à être confirmées. Le régime vénézuélien a d'ailleurs assuré, lundi 27 octobre, avoir déjoué un autre complot de la CIA, accusée d'avoir mis en place une cellule pour créer des incidents justifiant une intervention militaire américaine.