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L'opération antidrogue à Rio, guerre contre le narcotrafic ou bras de fer politique ?
Au moins 119 personnes sont mortes mardi lors de l'opération policière dans les favelas de Rio, la plus meurtrière de l'histoire du Brésil. Menée en l'absence de Lula, en voyage à l'étranger, par un de ses adversaires politiques, le gouverneur de l'État de Rio, la sanglante opération entache le bilan du président brésilien.
Des corps de personnes tuées lors d'un raid policier visant le gang Comando Vermelho dans la favela Complexo da Penha de Rio de Janeiro, au Brésil, le 29 octobre 2025. © Silvia Izquierdo, AP

Le Brésil est endeuillé par l'opération policière la plus meurtrière de son histoire moderne. L'intervention menée mardi 28 octobre dans les favelas du Complexo da Penha et du Complexo do Alemao, dans le nord de Rio de Janeiro, a fait au moins 119 morts, dont 115 criminels présumés et quatre policiers, selon le gouvernement local.

L'opération a mobilisé 2 500 agents contre le Comando Vermelho, principal groupe criminel opérant dans les favelas de Rio, quartiers pauvres et densément peuplés.

Après plus d'un an d'enquête et avec 113 arrestations, l'intervention est un "succès", s'est félicité devant la presse Claudio Castro, gouverneur de droite de l'État de Rio. L'allié de l’ex-président Jair Bolsonaro a défendu la manière forte employée face à ce qu'il qualifie de "narcoterrorisme".

Mercredi, des dizaines de dépouilles ont été récupérées par des habitants dans une forêt située au sommet de leur favela. Certains ont dénoncé des "exécutions".

Les services du Défenseur public de l'État de Rio, qui offre une assistance juridique aux plus démunis, comptabilisent pour leur part au moins 132 morts.

À Rio, les deux opérations qui avaient jusque-là fait le plus de morts avaient eu lieu en 2021 et 2022, quand 28 et 25 personnes étaient mortes respectivement dans les favelas de Jacarezinho et Vila Cruzeiro.

Lula "sidéré" et en difficulté

Le bilan a "sidéré" Luiz Inacio Lula da Silva, selon son ministre de la Justice. Le président brésilien, de retour d'un voyage officiel en Indonésie, a été "surpris du fait qu'une opération de cette envergure ait été mise en place à l'insu du gouvernement fédéral".

"Dire qu'on n'a pas été tenu au courant est une excuse très courte", estime Pascal Drouhaud, chercheur associé à l'Institut Choiseul et président de l'association France Amérique latine. Ayant perçu le danger politique que l'opération à Rio représente pour lui, Lula cherche à s'en dédouaner, poursuit l'expert.

Le 23 octobre, Lula confirmait qu'il serait candidat à sa réélection pour un quatrième mandat lors du scrutin présidentiel de 2026. Or la pacification des conflits liés au narcotrafic constitue un enjeu électoral central pour lui. Le Brésil est le deuxième acteur mondial dans le commerce de la cocaïne, juste après la Colombie.

L'opération meurtrière de Rio "constitue un drame" à portée internationale pour Lula alors qu’il "se pose en médiateur dans le conflit opposant le Venezuela et les États-Unis face au narcotrafic", rappelle Pascal Drouhaud. "Un tournant qui révèle une réalité sociale occultée par l'image de première puissance d'Amérique latine, de pays membre du G20, d'un pays qui va accueillir à Belém, dans quelques jours, la COP30", analyse le chercheur.

"Tentative de déstabilisation politique"

Cette opération antidrogue relève d'une "évidente tentative de déstabilisation politique" et d'une "opposition au gouvernement fédéral", a estimé, jeudi sur l'antenne hispanophone de France 24, Ana Prestes, doctorante en histoire à l'Université de Brasilia (UnB).

Le Brésil est une République fédérale dans laquelle Brasilia partage nombre de prérogatives avec les 26 États brésiliens. Mais "on ne mène pas une opération comme celle-ci quand le président est hors du pays", a souligné la politologue.

Le gouverneur de l'État de Rio de Janeiro, Claudio Castro, est un proche de l'ennemi politique de Lula, l'ex-président d'extrême droite Jair Bolsonaro (2019-2022). Celui-ci a été déclaré coupable par la justice brésilienne de conspiration pour assurer son "maintien autoritaire au pouvoir" après son échec aux élections d'octobre 2022.

"Une guerre asymétrique" pour les militaires

"Je ne crois pas que l'assaut antidrogue soit une manœuvre politique", a jugé pour sa part le général à la retraite Marco Aurélio Costa Vieira, lors de la même émission. Ancien chef de la brigade des opérations spéciales de l'armée brésilienne, il a invoqué une "guerre asymétrique où des bandes criminelles dominent le territoire". "Les personnes tuées sont mortes avec un fusil à la main", a ajouté l'ancien militaire.

Selon lui, le gouverneur a sollicité à plusieurs reprises le soutien de Brasilia. "La demande de coordination avec le gouvernement fédéral a été faite plus de trois fois et le gouvernement fédéral a pratiquement dit : 'Je ne veux rien savoir des opérations dans les favelas'", a assuré le général.

"Le gouverneur de l'État de Rio veut rétablir la sécurité dans son État et c'est bien cette volonté qui l'a conduit à mener ces opérations", abonde Pascal Drouhaud. Mais "s'il n'y avait pas l'intention de mettre en difficulté Lula" au départ, le bain de sang "va permettre de dénoncer sa mauvaise gestion".

Pour Ana Prestes, l'efficacité de telles opérations reste à démontrer : "Même si cela aboutit à la mort de suspects de narcotrafic, d'autres les remplaceront demain." Selon elle, "la répression n'a aucune efficacité contre la criminalité" : Rio a déjà connu "tant (d'autres) massacres, qui n'ont pas résolu le problème".