Le président du Soudan a fait un nouveau pied de nez à la Cour pénale internationale en se rendant en Éthiopie pour faire avancer l’accord de paix avec son voisin du Sud. Il fait pourtant l’objet d’un mandat d’arrêt international depuis 2009.
Omar el-Béchir et son homologue du Sud Salva Kiir riant et discutant aux cotés du médiateur de l’Union africaine (UA) Thabo Mbeki et du Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn : à Addis-Abeba, la bonne entente était de mise. Réunis pendant deux jours, les 4 et 5 janvier, dans la capitale éthiopienne, les présidents des deux Soudans ont officiellement accepté de mettre en œuvre l’accord sur leur contentieux pétrolier et frontalier qui avait été signé le 27 septembre dernier. Le texte prévoit la démilitarisation de la frontière commune aux deux pays afin de relancer la production de pétrole, dont l’interruption depuis près d’un an a totalement asphyxié les économies de Juba et de Khartoum.
Les deux chefs d’État ont quitté les lieux sans faire de déclarations, mais l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, représentant de l’UA, a affirmé que "des actions devaient être engagées dès que possible pour appliquer sans conditions les accords existants." Bien qu’aucun calendrier n’ait été annoncé, le ministre sud-soudanais du Pétrole, Stephen Dhieu Dau a prévenu, le 3 janvier, que les exportations ne reprendraient pas avant la mi-mars, et ce, même si les dissensions avec le Nord venaient à être totalement réglées avant cette date.
Prouver qu’en Afrique, il est soutenu
Avant qu'Omar el-Béchir ne soit recherché par la CPI, d’autres présidents ont fait l’objet de procédures de justice internationale.
C’est le cas de l'ancien président serbe Slobodan Milosevic inculpé en mai 1999 par le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie, et du président libérien Charles Taylor, condamné en mai 2012 par la Cour spéciale pour la Sierra Leone.
Une rencontre à l’issue encourageante qui en ferait presque oublier que le président Omar el-Béchir est sous le coup d’un mandat international depuis le 4 mars 2009. Accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité au Darfour, additionné à des charges pour génocide depuis 2010, il est le premier chef d'État en exercice poursuivi pour de tels actes par la Cour pénale internationale (CPI).
Bien qu’il soit susceptible d’être interpellé en franchissant les frontières soudanaises, El-Béchir n’en est pas à son premier voyage. Comme pour prouver qu’il n’est pas isolé, le président n’a pas hésité, depuis l'émission de son mandat d'arrêt, à multiplier les déplacements impunément sur le continent africain. Il s’est ainsi rendu en Égypte, en Arabie saoudite, en Libye, en Érythrée, au Qatar, au Zimbabwe ou encore en Éthiopie.
"Il peut se rendre dans tous les pays qui n’ont pas ratifiés le statut de Rome sur la création de la Cour pénale internationale. C’est le cas de l’Iran, d’une partie du Moyen-Orient, ou encore d’une partie de l’Asie et, en théorie, les États-Unis aussi…", explique à FRANCE 24 Benjamin Augé, chercheur au programme Afrique de l'Institut français des relations internationales (Ifri).
Quand l’autorité de la CPI se heurte à l’UA
Cependant, les 33 États africains membres de la CPI font également partie des 54 pays de l’Union africaine. Cette dernière s’attache, depuis 2009, à défendre farouchement le président soudanais estimant que son arrestation pourrait mettre en péril les efforts de paix entre Khartoum et Juba. Par conséquent, tout pays à la fois membre de l’UA et de la CPI qui recevrait El-Béchir sur son sol peut tout à fait choisir de ne pas le faire arrêter. UA ou CPI, l’autorité qui prévaut est au bon vouloir du leader du pays concerné. Les positions contradictoires de la CPI et de l’UA ont d’ailleurs mené, à plusieurs reprises, à des comportements schizophréniques de la part des chefs d’État africains.
Ce fut, notamment, le cas du président tchadien Idriss Déby Itno qui, en juillet 2010, reçut El-Béchir en grande pompe. L’escapade du président soudanais à N’Djamena fut la première, après l’émission de son mandat d’arrêt, dans un pays reconnaissant l’autorité de la CPI. "Ce n'est pas au Tchad qu'El-Béchir sera arrêté", avait alors assuré le ministre tchadien de l'Intérieur, Ahmat Mahamat Bachir, ajoutant : "Le Tchad est un État souverain et indépendant. (...) Nous ne dépendons pas des injonctions des organisations internationales".
Sous la pression internationale, Idriss Déby Itno a, par la suite, été contraint de prendre clairement position. "Je suis certes signataire du statut de Rome, mais je suis aussi membre de l’Union africaine, laquelle a une position divergente sur cette affaire. J’ai choisi de suivre l’avis de l’UA : il n’est pas question qu’El-Béchir, s’il doit être jugé, le soit ailleurs qu’en Afrique", avait-t-il déclaré, en décembre 2011, au magazine "Jeune Afrique".
Les Africains systématiquement dans le viseur de la CPI
De manière générale, en Afrique, les marques de coopération avec la CPI se font extrêmement rares. Refusant d’accueillir El-Béchir sur son sol sous peine de le faire arrêter, Joyce Banda, nouvelle présidente du Malawi et proche d’Hillary Clinton, a vu, pour sa part, l’organisation du 19e sommet de l'UA prévu à Lilongwe annulée. La manifestation qui s’est tenue le 9 juillet 2012 a finalement eu lieu… en Éthiopie.
"Les chefs d’État africains sont très peu favorables à cette Cour pénale internationale", affirme Benjamin Augé. Ils lui reprochent, entre autre, de ne s’en prendre qu’à des dirigeants africains. "On a l’impression que la Cour pénale internationale ne vise que les Africains. Cela signifie-t-il que rien ne se passe par exemple au Pakistan, en Afghanistan, à Gaza, en Tchétchénie ? Ce n’est pas seulement en Afrique qu’il y a des problèmes. Alors pourquoi n’y a-t-il que des Africains qui sont jugés par cette cour ?", avait lancé, en juin 2011, le Gabonais Jean Ping, président de la commission de l’UA entre 2008 et 2012. Une position, d'ailleurs, reprise par la sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma qui lui a succédé au poste il y a moins d'un an.
La "patate chaude" El-Béchir n’a donc pas fini de provoquer des tensions diplomatiques. Toutefois, la contestation grandissante au Soudan, en proie à une inflation record et un coût de la vie exorbitant, devrait suffisamment occuper El-Béchir sur le territoire national et donc limiter ces déplacements à l'étranger...