
Une femme attend sur le quai d'une station de métro, à Paris, le 30 décembre 2021. © Thibault Camus, AP
"Une société digne de ce nom protège les femmes dans l'espace public". Par ces mots, la ministre déléguée chargée de l'Égalité femmes-hommes, Aurore Bergé a annoncé, mardi 9 décembre, que le gouvernement français planchait à l'élaboration d'un plan national de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) dans les transports, dont la finalisation est espérée pour le premier trimestre 2026.
Évoqué à l'occasion d'une journée de mobilisation au Conseil régional d'Ile-de-France, ce projet élaboré conjointement avec le ministère des Transports, mettra l'accent sur la prévention et les systèmes d'alerte.
"Construit avec les opérateurs, les régions, les associations", il prévoit notamment le développement de "système d'alerte unifié" avec "bouton d'appel rapide dans les applications", a expliqué la ministre, évoquant un système déjà utilisé depuis quelques semaines dans les métropoles d'Orléans et de Montpellier. Le plan prévoit aussi le développement d'un "canal unique de transmission d'information entre opérateurs et forces de l'ordre".
Insultes, regards insistants, exhibition, attouchements… Les femmes représentent 91 % des victimes d'agressions sexuelles dans les transports, selon une étude publiée en mars par l'Observatoire de la Mission interministérielle pour la protection des femmes (Miprof).
En 2024, quelque 3 374 victimes de violences sexuelles dans les transports en commun ont été enregistrées dans toute la France par les services de police et de gendarmerie, soit 6 % de plus qu'en 2023, et 86 % de plus qu'en 2016, selon la Miprof.
Par ailleurs, selon la même étude, 70 % des utilisatrices des transports en commun d'Île-de-France ont déclaré avoir été victimes d’au moins une VSS au cours de leur vie, dans les transports de la région.
En octobre dernier, la tentative de viol d'une jeune Brésilienne dans le RER C – interrompue grâce à l'intervention d'une autre voyageuse qui a fait fuir l'agresseur – a suscité une vague d'indignation. Une pétition, comptabilisant plus de 32 000 signataires, appelait notamment à la création de wagons réservés aux femmes et aux enfants.
Face à l’urgence, la France élabore un plan national de lutte. Ailleurs, d’autres pays ont déjà expérimenté des dispositifs, parfois depuis plusieurs années, pour endiguer le harcèlement sexuel dans les transports. Avec des résultats parfois contrastés.
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À Londres, "Project Guardian" : la référence
Lancé en 2013 par la British Transport Police (BTP), Transport for London (TfL) et la police métropolitaine, le dispositif londonien fait figure de référence en matière de lutte contre les VSS dans les transports.
Visant à améliorer la prise en charge des victimes et à faciliter le signalement des agressions, ce programme repose sur trois piliers : la formation systématique des agents, un système de signalement simplifié – notamment via SMS, réseaux sociaux et l’application TfL –, et des campagnes massives de sensibilisation destinées à briser le tabou autour du harcèlement.
Depuis sa mise en place, le nombre d’incidents signalés a fortement augmenté : la BTP a enregistré une hausse de plus de 30 % dans les premières années, expliquée non pas par une explosion des violences, mais par une plus grande confiance des usagères dans les dispositifs de plainte.
Si le programme n’a pas fait disparaître le phénomène, il a permis d’objectiver son ampleur et d’améliorer l’identification des zones à risques. Aujourd’hui encore, la BTP cite "Project Guardian" comme un outil rendant visibles des violences jusque-là invisibles, en encourageant les signalements, en rassurant les victimes, en modifiant les représentations, et en facilitant la prise en charge policière.
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Inde, Japon, Brésil... Des wagons réservés aux femmes
Des zones séparées sont utilisées dans les transports publics dans plusieurs pays où les femmes sont confrontées à une discrimination institutionnelle, ou au harcèlement sexuel (ou aux deux). C'est notamment le cas en Iran, au Japon, en Inde, au Brésil ou encore aux Émirats arabes unis.
Au Japon, ils ont été introduits dès les années 2000 pour réduire le harcèlement dans les trains bondés. En Inde, une mesure similaire a été adoptée dans les métros de Mumbai et de Delhi. Mais si ces wagons offrent aux femmes un espace plus sûr, ils sont aussi critiqués pour ne pas s'attaquer aux causes profondes du harcèlement. Ils sont aussi souvent jugés inadaptés, car également utilisés par des hommes qui ignorent les règles.
Aussi, certaines Indiennes en particulier perçoivent les wagons séparés comme un recul plutôt que comme une solution. Le problème des violences sexuelles en Inde a été mis en lumière en 2012 par le viol collectif et le meurtre d'une jeune femme de 23 ans dans un bus en marche. Malgré une vague de sensibilisation et de mobilisation, les statistiques sur les violences sexuelles restent alarmantes. Chaque jour, 93 femmes signalent un viol, et on estime que des milliers d'autres agressions sexuelles ne sont pas recensées.
La solution de wagons réservés aux femmes avaient été proposée au Royaume-Uni en 2015 par Jeremy Corbyn, ex-chef du parti travailliste. Une proposition qui avait été vivement critiquée. "Pourquoi devrions-nous nous isoler pour rester en sécurité ?", avait alors demandé Yvette Cooper, l'une de ses concurrentes dans la course, à l'époque, à la direction du Labour.
Mardi, Aurore Bergé s’est elle-même prononcée contre l’idée de créer des wagons réservés aux femmes, estimant que cela revient à "instaurer une forme de ségrégation", et assimilant cette solution à une "capitulation".
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Au Mexique, le programme "Viajemos Seguras"
À Mexico, où 9 femmes sur 10 déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel dans les transports en commun, le gouvernement a réagi dès 2008 en lançant l'initiative "Viajemos Seguras" (Voyageons en sécurité, en français), visant à sécuriser les transports pour les femmes.
Ce programme inclut des wagons de métro réservés aux femmes, des bus réservés aux femmes (appelés "Atenea"), des bornes d’assistance pour signaler les incidents, la formation des agents de sécurité, et des campagnes de sensibilisation.
Le bilan montre qu’il y a bien eu une légère diminution du harcèlement sexuel dans les espaces spécifiquement réservés aux femmes, mais aussi une augmentation d’autres formes d’agressions, dans d’autres espaces ou à d’autres moments.
Cela signifie donc que les mesures ciblées, comme des wagons réservés, améliorent la sécurité dans ces espaces précis, mais que le problème global de la violence ne disparaît pas totalement : il peut juste se déplacer.
Ainsi, en 2016, le média local El Universal estimait : "Il est préoccupant de constater que, parmi les mesures prises pour lutter contre les violences faites aux femmes, aucune ne vise à modifier les comportements et les perceptions sexistes des individus. Or, c'est la seule façon d'éradiquer ces violences".
Le quotidien mexicain insistait alors sur l'importance de "mettre en œuvre des programmes d’éducation, formels et informels, fondés sur les droits humains, qui cherchent à faire évoluer le regard porté sur les femmes au sein de la société".
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En Espagne, un plan en 18 mesures en Catalogne
La Catalogne a été l'une des premières autonomies espagnoles à mettre en place un plan structuré et détaillé contre le harcèlement dans les transports en commun.
Ce "plan de mesures pour la prévention du harcèlement sexuel dans les transports publics", adopté en juillet 2022, comprend 18 mesures spécifiques qui s'articulent elles-mêmes autour de cinq grands axes.
Sont ainsi prévus un cadre légal clarifié, des équipes dédiées pour traiter les incidents et une collecte de données sur l'expérience des femmes dans les transports.
Le plan, dont la phase de déploiement complet s'étendait jusqu'à 2025, prévoit aussi de rendre les infrastructures plus inclusives, et d'intégrer les besoins des femmes dès la planification des systèmes de transport.
Il comporte également un axe de prévention, avec des équipes formées pour gérer les situations d'urgence, des campagnes de sensibilisation et la garantie de la confidentialité pour les victimes.
Enfin, des outils technologiques, comme des applications de signalement et des outils numériques, sont déployés pour encourager les signalements et analyser les données afin de mieux cibler les interventions.
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En Allemagne, une dynamique comparable à celle de la France
En Allemagne, la lutte contre les VSS dans les transports ne repose pas sur un plan national unifié, mais sur une mosaïque de dispositifs locaux menés par les opérateurs et les Länder.
À Berlin, la compagnie des transports (BVG) combine depuis près de dix ans un arsenal de mesures : vidéosurveillance omniprésente (plus de 6 500 caméras dans le métro), patrouilles renforcées – parfois en binômes mixtes –, campagnes dédiées au harcèlement et application de signalement directe à la police.
Hambourg a quant à elle développé des "Home Zones" permettant de descendre entre deux arrêts la nuit (comme à Paris), ainsi qu’un service téléphonique d’accompagnement pour les femmes (à Paris, un service téléphonique équivalent est disponible au 3117).
Munich, de son côté, a massivement investi dans la vidéosurveillance et les patrouilles mixtes pour sécuriser les stations les plus fréquentées.
Mais faute de coordination nationale, ces mesures restent éclatées, et les données de criminalité montrent une réalité contrastée : les agressions sexuelles recensées dans les transports ont augmenté ces dernières années, interprétées par les autorités comme un signe d'amélioration du signalement plutôt qu’une hausse des faits eux-mêmes.
Une dynamique similaire à celle observée en France, où les VSS dans les transports ont augmenté de 86 % depuis 2016, malgré les campagnes de sensibilisation et les renforts de personnel.
La principale différence tient à l’architecture des réponses : là où l’Allemagne multiplie les initiatives locales, la France cherche, avec le plan annoncé mardi par Aurore Bergé, à construire une stratégie nationale plus homogène.
