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Donald Trump : ses déclarations sur la victoire russe en Ukraine à l'épreuve du terrain
Le président américain Donald Trump a assuré dans une interview mardi que la victoire russe semblait inévitable en Ukraine et que Kiev devait accepter son plan de paix au plus vite. Mais sur le front, le scénario de la guerre est différent de ce que semble penser le président américain.
Les combats dans la région de Donetsk autour de la ville de Pokrovsk se sont intensifiés ces dernières semaines, comme ici à Kostyantynivka. AP - Oleg Petrasiuk

Pour Donald Trump cela ne fait aucun doute : la Russie est en train de gagner en Ukraine et le président ukrainien Volodymyr Zelensky serait avisé d’accepter à la fois le plan de "paix" américain et l’inéluctable issue du conflit au plus vite. 

Dans une longue interview accordée au site Politico mardi 9 décembre, le président américain a exprimé son irritation à l’égard de son homologue ukrainien tout en suggérant que "la taille gagne généralement". Une allusion à la différence de superficie entre l’immense Russie et l’Ukraine et l’armée bien plus importante mobilisée par Moscou pour sa guerre d’invasion, débutée en février 2022.

"On est loin du rouleau compresseur russe"

L’analyse militaire de Donald Trump ne correspond cependant pas à la réalité, d’après les experts interrogés par France 24. Surtout quant à l’importance du territoire cédé par l’Ukraine. Kiev en aurait "perdu beaucoup", a affirmé le président américain.

L’avancée des troupes russes, réelle, "est loin de donner l’impression d’un rouleau compresseur inarrêtable", souligne Will Kingston-Cox, spécialiste du conflit en Ukraine à l’ITSS Verona. "En un an, la Russie a gagné moins d’un pour cent du territoire ukrainien en plus", précise ce spécialiste.

Le site de l’Institut for the Study of War (ISW), un cercle de réflexion militaire américain publiant des notes quotidiennes sur la guerre en Ukraine, pousse l’analyse jusqu’à… deux chiffres après la virgule. "L’armée russe a gagné 0,77 % de territoire en plus en 2025, soit 4 669 km² depuis le 1er janvier", précisent ces experts. 

C’est certes peu, mais suffisant "pour donner l’impression que l’initiative est clairement dans le camp russe", reconnaît Will Kingston-Cox.

Ce grignotage territorial s’est, cependant, fait aux dépens de très importantes pertes humaines côté russe. "Les données fournies par l'état-major ukrainien indiquent que les forces russes ont subi un total de 391 270 pertes pendant cette période, soit environ 83 pertes par kilomètre carré", détaille la note de I’ISW.

Surtout, l’avance russe n’impressionne guère si on la compare à l’évolution du front l’an dernier. "Les Russes ont même gagné un peu moins de terrain en 2025 qu’en 2024", assure Huseyn Aliyev, spécialiste de la guerre en Ukraine à l’université de Glasgow.

Il y a, certes, quantité de terrain gagné et qualité des lieux occupés. Les Russes ont peut-être ouvert des corridors essentiels pour une avancée dorénavant plus rapide ? Ou alors ont-ils pris possession de sites stratégiques leur permettant d’atteindre certains objectifs majeurs du Kremlin, tels que la prise totale des oblast de Donetsk et Louhansk (Donbass) ?

De l'importance de Pokrovsk

"La principale prise de guerre en 2025 pour les Russes est la ville de Pokrovsk dans l’oblast de Donetsk où des combats intenses ont lieu depuis environ un an. Et encore, les Russes n’occupent pas encore l’intégralité de cette ville", explique Huseyn Aliyev.

La chute totale de Pokrovsk est "symboliquement importante car il s’agissait d’un centre logistique et de repli pour les troupes ukrainiennes", souligne Will Kingston-Cox. Mais stratégiquement, cette ville a perdu en valeur car "les Ukrainiens ont réorganisé leur ligne d’approvisionnement pour minimiser l’impact de la perte de Pokrovsk", estime Huseyn Aliyev.

L’armée russe a aussi avancé vers une "autre ville relativement importante de la région de Zaporijjia - Hulyaipole -, mais ils n’ont pas encore réussi à la prendre", souligne Huseyn Aliyev.

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Donald Trump : ses déclarations sur la victoire russe en Ukraine à l'épreuve du terrain
© France 24
01:12

Les succès à Pokrovsk et vers Hulyaipole représentent des "gains tactiques qui peuvent permettre à la Russie d’ouvrir certaines portes pour une avancée future, notamment dans le Donbass. Mais ils ne sont pas significatifs à l’échelle de la guerre en Ukraine", assure Will Kingston-Cox.

Et même dans le Donbass, 2025 ne sera probablement pas un tournant. On pourrait croire que la bataille de Pokrovsk scelle le sort de la région de Donetsk, qui est déjà en grande partie occupée par les Russes. En réalité, il n’en est rien. "Il reste encore deux villes majeures à prendre : Kramatorsk et Sloviansk. Toutes les deux se situent derrière ce qu’on appelle la ceinture fortifiée de Donetsk et les Russes devraient avoir encore plus de mal à en déloger les Ukrainiens que dans le cas de Pokrovsk", affirme Huseyn Aliyev.

Cette "ceinture fortifiée" qui court de la région de Kherson jusqu’à celle de Kharkiv et passe au nord de Pokrovsk "représente une version améliorée des fortifications que les Russes ont dû surmonter jusqu’à présent", explique Huseyn Aliyev. 

Pas facile pour l’armée russe de franchir cet obstacle et, en l’état actuel du rapport de force, la prise de Kramatorsk pourrait prendre encore plusieurs années, d’après les experts interrogés.

L'inéluctable victoire russe pas si inéluctable

Sauf si les défenses ukrainiennes s’effondrent, faute d’hommes et de munitions. C’est l’autre argument de Donald Trump pour prédire la victoire russe : de par la taille de son armée et de sa population, la Russie peut se battre plus longtemps.

Là encore, c’est discutable. Moscou peut certes mobiliser davantage de missiles, munitions et hommes. Mais dans le contexte actuel, "ce sont essentiellement les drones qui comptent et ils ont même en partie remplacé les obus. L’Ukraine réussit, pour l’instant, à en construire suffisamment", estime Huseyn Aliyev. 

Quant aux soldats, le ratio des pertes russes est supérieur à celui des Ukrainiens et "Moscou a de plus en plus de mal à trouver des volontaires pour remplacer les hommes tombés au combat", note Huseyn Aliyev. Mais il est vrai que l’Ukraine peine également de plus en plus à mobiliser des combattants, reconnaît cet expert.

Il n’empêche que l’argument selon lequel le temps est l’allié de Moscou n’est pas aussi évident que le président américain veut le faire croire. "Les affirmations de Donald Trump sont hâtives et trompeuses", résume Huseyn Aliyev.

Pour Will Kingston-Cox, la Maison Blanche a tout simplement été contaminée par les éléments de langage "que la Russie cultive depuis deux ans sur le caractère inévitable de sa victoire en Ukraine". "Dans le confort du Bureau ovale, il doit être facile pour Donald Trump de regarder des cartes et de se dire qu’en effet la Russie avance et doit donc gagner", ajoute cet expert.

C’est d’autant plus tentant pour le président américain que "sa priorité est d’apparaître aux yeux de ses électeurs comme l’homme qui conclut rapidement et efficacement des accords", ajoute Will Kingston-Cox. Et dans le cas de la guerre en Ukraine, Donald Trump estime qu’il doit être plus facile et efficace de faire pression sur la "petite" Ukraine que sur la grande Russie. Mais peut-être se trompe-t-il et peut-être que dans ce cas, ce n’est pas la taille qui compte.