
Le Premier ministre français, Sébastien Lecornu, fait une déclaration à l'Hôtel Matignon, le 6 octobre 2025, à Paris. © Stéphane Mahé, Reuters
Pour la première fois depuis 2021, l’Assemblée nationale a pu se prononcer, mardi 9 décembre, sur un texte budgétaire. Le résultat du pari gagnant fait par le Premier ministre Sébastien Lecornu qui a préféré négocier le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) jusqu’au bout plutôt que d’avoir recours au 49.3, comme Élisabeth Borne, Michel Barnier et François Bayrou avant lui. La question est désormais de savoir s’il peut dupliquer cette méthode pour le projet de loi de finances (PLF).
Il faut d’abord bien mesurer le caractère inédit de ce qu’il s’est passé au Palais Bourbon, où l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution, qui permet l’adoption d’un texte sans vote, était devenu une habitude en fin d’année. Plusieurs députés élus en 2022 se sont ainsi émus mardi soir d’avoir enfin eu l’occasion de se prononcer sur un budget de la Sécurité sociale.
Autre fait majeur qui paraissait encore impensable il y a quelques semaines : pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, un groupe d’opposition a voté en faveur d’un texte budgétaire présenté par le gouvernement. Sans majorité, Sébastien Lecornu est parvenu à convaincre le Parti socialiste (PS) non seulement de jouer le jeu de la négociation, mais en plus de sauver le PLFSS après les prises de position d’Édouard Philippe (Horizons) et de Bruno Retailleau (Les Républicains), tous deux opposés au texte.
"Cette majorité de responsabilité montre que le compromis n'est pas un slogan : il permet d'avancer dans le sens de l'intérêt général", s’est félicité le Premier ministre dans un message posté sur X après le vote des députés.
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Accepter Gérer mes choixContrairement à ses deux prédécesseurs, François Bayrou et Michel Barnier, qui ont dû manœuvrer avec la même Assemblée nationale, Sébastien Lecornu a en effet accepté de faire des concessions sur la réforme des retraites, sur le doublement des franchises médicales, sur le gel des pensions de retraite et des minima sociaux, sur la hausse de la CSG sur les revenus du capital ou encore sur les dépenses de santé.
Une adoption du PLFSS qui complique celle du PLF
Si bien que le coût du compromis est jugé particulièrement élevé par la macronie et la droite, rendant la perspective d’un accord sur le budget de l’État encore plus fragile.
Car le gouvernement garde l’objectif d’un déficit public (État, Sécurité sociale et collectivités locales) inférieur à 5 % du PIB en 2026, contre 5,4 % attendu cette année, ce qui implique que l'État renfloue les caisses de la Sécurité sociale de 4,5 milliards d'euros après le vote du PLFSS, celui-ci ayant aggravé le déficit de la Sécurité sociale par rapport au projet initial du gouvernement.
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Accepter Gérer mes choix"Effectivement, puisque la prochaine étape, c'est le budget de l'État, la barre est remontée d'un cran. Moi, j'avais parlé d'un 110 mètres haies il y a dix semaines, quand on a commencé. La dernière haie, celle du budget [de l'État], elle vient de passer à 1,30 m", a déclaré mercredi matin sur RTL le ministre de l’Économie Roland Lescure. "Il va falloir trouver les 4,5 milliards dans le cadre de la discussion du budget (...), faire des efforts", a-t-il souligné.
Pour rappel, le projet de loi de finances (PLF) a été envoyé au Sénat après le rejet à la quasi-unanimité de la partie "recettes" du texte à l’Assemblée nationale – seul un député sur les 405 présents avait voté pour – et sans que la partie "dépenses" n'ait été examinée.
Mais pour le Premier ministre, "l'objectif de doter la France d'un budget d'ici au 31 décembre" reste "possible", a indiqué mercredi en fin de matinée la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon lors du compte-rendu du Conseil des ministres. Sébastien Lecornu espère rapprocher les positions des différents groupes parlementaires en organisant une série de débats thématiques : sur la défense dès mercredi après-midi, puis sur la sécurité, le narcotrafic, l'agriculture, l'énergie et le déficit. "La balle est aujourd'hui dans le camp du Parlement et significativement de la droite sénatoriale qui occupe une grande place dans la commission mixte paritaire", a ajouté Maud Bregeon.
Des positions jugées trop éloignées
Les sénateurs doivent voter lundi sur l'ensemble du texte du PLF. En cas d'adoption, une commission mixte paritaire (CMP) sera convoquée pour tenter de trouver un compromis entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Mais contrairement aux propos optimistes du Premier ministre qu’elle a rapportés à l’issue du Conseil des ministres, Maud Bregeon semblait anticiper, plus tôt dans la matinée, un échec de la CMP et ouvrir la voie à une "loi spéciale".
"Si une CMP n'est pas conclusive (...), nous devrons prendre davantage de temps pour discuter, ce qui ne serait pas anormal car le budget de l'État est plus politique et donc ça nous emmènera en janvier après les fêtes de fin d'année", a-t-elle déclaré dans la matinale de France 2.
Dans ce cas, le Parlement devra, comme l'année dernière, adopter d'ici fin décembre une "loi spéciale" pour autoriser le gouvernement à percevoir les impôts existants et reconduire les dépenses votées en 2025.
Et même si la CMP parvenait à un accord, une majorité serait de toute façon très difficile à trouver à l'Assemblée nationale. "L'évidence, c'est que nous n'y arriverons pas dans les délais qui nous sont fixés", avait déjà anticipé mardi soir le premier secrétaire du PS Olivier Faure.
Les discussions entre le Premier ministre et les socialistes auront-elles plus de chances d’aboutir en 2026 ? C’est loin d’être évident tant les positions sont éloignées. "On a réussi à enlever des horreurs du PLFSS, mais il y en a tellement dans le texte sur le budget de l’État que là, c’est mission impossible", a confié à Mediapart un proche de Boris Vallaud, président du groupe des députés socialistes.
Dans ces conditions, Sébastien Lecornu pourrait-il finalement se résoudre à faire usage du 49.3 ? Certains dans son camp l’envisagent, faisant valoir que le calendrier pourrait jouer en sa faveur. Les socialistes pourraient en effet rechigner à voter une motion de censure qui risquerait d’entraîner une dissolution trois mois seulement avant les élections municipales.
