Chef du gouvernement du Gujarat depuis 2001, Narendra Modi, un nationaliste hindou très controversé, est en passe de remporter un 3e mandat à la tête de cet État. Un scrutin tremplin qui pourrait bien l’aider dans sa conquête du pouvoir national.
C’est l’histoire d’un homme qui se verrait bien "calife à la place du calife". L’histoire d’un Iznogoud indien qui, à l’instar du personnage de la bande dessinée de René Goscinny, se rêve en chef d’État même s’il n’a jamais dévoilé - en public - de telles ambitions.
Narendra Modi, 62 ans, hindou nationaliste à la tête du Gujarat depuis plus de dix ans, est l’étoile politique montante de l’Inde. Pour la troisième fois, son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP), conservateur, devrait remporter sans difficulté les élections législatives du Gujarat qui se sont déroulées les 13 et 17 décembre. Un tremplin rêvé pour un homme qui nourrit secrètement l’ambition de ravir, lors des élections générales de 2014, le poste de Premier ministre à Manmohan Singh, membre du Parti du Congrès (centre-gauche). "C’est un secret de polichinelle : toute la classe politique indienne sait qu’il songe à devenir le prochain Manmohan Singh même s’il ne dit rien à ce sujet", confirme Olivier Guillard, spécialiste de l’Inde à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
La "politique Bollywood"
Pour atteindre son objectif, Modi se concentre sur son principal atout : l’excellente santé économique du Gujarat. Ce "petit" État de 60 millions d’habitants, très majoritairement hindou, est devenu en quelques années un eldorado économique qui a attiré des géants mondiaux comme Ford ou General Motors. Le Gujarat affiche aussi un taux de croissance insolent oscillant entre 8 % et 10 %. Ce n’est pas par hasard que le groupe indien Tata a décidé de venir s’y implanter en 2009 pour y construire sa fameuse Nano... "Si vous êtes dans les affaires et que vous n’êtes pas au Gujarat, c’est que vous êtes stupide", déclare même Ratan Tata, le patron du groupe.
Reste une question : l’argument économique est-t-il un atout suffisant pour séduire l’électorat indien et propulser Modi au sommet de l’État ? Rien n’est moins sûr à ce propos, explique Olivier Guillard. Certes, Modi bénéficie d’une aura étonnante : "Il faut dire que c’est un être particulièrement narcissique, à la limite du culte de la personnalité", reconnaît l’expert. Certes encore, il séduit les foules par sa mégalomanie et sa modernité, allant jusqu'à utiliser la technologie 3D et les hologrammes pour se produire à plusieurs endroits en même temps lors de sa campagne électorale... "Les Indiens sont bluffés. On est dans la politique Bollywood, le show permanent", reprend Olivier Guillard.
Seulement voilà, le chef du Gujarat traîne aussi un lourd passé politique. "Il est issu d’un mouvement baptisé RSS, sorte de socle originel du BJP, un mouvement ultra-nationaliste, presque sectaire et à très grande majorité hindoue", développe l’expert. Alors forcément, "les valeurs de Modi sont assez discutables". Elles ont même "blessé, dans les années 1990, les valeurs de la démocratie et l’héritage multiconfessionnel légués par Gandhi et Nehru", explique de son côté Frédéric Bobin, journaliste au Monde.
Les émeutes anti-musulmanes de 2002
Pis, depuis les émeutes anti-musulmanes qui ont embrasé le Gujarat en 2002, l’image de Modi a été considérablement ternie. L’assassinat de près de 2 000 musulmans - alors qu'il est chef de cet État depuis un an - perpétré en représailles à la mort de 59 pèlerins hindous dans l’incendie d’un train reste une tragédie aussi douloureuse qu’indélébile que beaucoup de Gujaratis ne lui pardonnent pas. "C’est un fardeau politique qu’il a du mal à porter et qui le ralentira toujours dans sa conquête du pouvoir", ajoute Olivier Guillard. Même les pays occidentaux - Union européenne en tête - avaient décidé, à la suite du massacre, de prendre leur distance avec lui. Étiqueté "tueur de musulmans", Narendra Modi est aujourd’hui tout bonnement honni par une grande partie des musulmans indiens.
À l’époque, la responsabilité pénale du chef du Gujarat avait été engagée. Pourquoi la police n’était-elle pas intervenue pour protéger les quartiers musulmans attaqués ? Ses détracteurs ont assimilé sa passivité d’alors à une forme de complicité silencieuse. Une posture qui n’en finit toujours pas de nourrir la controverse à son sujet. "Il n’est pas vraiment le visage souriant de la société intercommunautaire de l’Inde", ironise Olivier Guillard.
"Il ne pense qu’à ses propres rêves"
Modi ne doit pas seulement faire face à l’animosité des musulmans. Ses adversaires politiques n’hésitent pas non plus à le dépeindre comme un mégalomane avide de pouvoir et peu soucieux de l’intérêt général. "Il ne veut entendre que sa propre voix. Il ne pense qu’à ses propres rêves", a dénoncé Rahul Gandhi - le fils de Sonia Gandhi, qui dirige le Parti du Congrès -, possible premier ministrable.
Il faut dire que le Gujarat, malgré son bilan économique, n’a pas brillé par l’éradication de sa pauvreté. Si elle régresse comme partout ailleurs dans le pays, l’indigence recule toutefois plus lentement qu'au niveau national. Et si l’on prend en compte l’indice de développement humain (IDH), le Gujarat se place même à la 18e place des États indiens.