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La Croatie laisse éclater sa joie après l'acquittement de deux généraux par le TPIY

La cour d’appel du TPIY a annulé vendredi les condamnations de deux généraux croates accusés d’atrocités contre les Serbes dans les années 1990. Belgrade s'est indigné tandis que la Croatie a accueilli dans la joie le retour des "héros".

Retournement de situation inédit au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Les anciens généraux croates Ante Gotovina et Mladen Markac ont finalement été acquittés vendredi 16 novembre, après avoir été inculpés de crimes de guerre commis contre des Serbes. Un verdict d’autant plus stupéfiant que les deux généraux avaient été respectivement condamnés en première instance à 24 et 18 ans de prison.

Vers 13H35 (12H35 GMT) vendredi, après que les deux hommes ont été libérés sur le champ, quatre minibus aux vitres teintées ont quitté en toute hâte le centre de détention du TPIY, à La Haye, par la porte principale, escortés par deux motards et une voiture de la police néerlandaise.

Les faits reprochés aux généraux Gotovina et Markac sont pourtant édifiants. Le TPIY les accusait d'être responsables de la mort de 324 civils ou soldats ayant déposé les armes et du déplacement par la force de 90 000 Serbes de la Krajina pendant l'opération "Tempête" en 1995, qui avait pour but la reconquête de la République serbe autoproclamée de Krajina, une des dernières poches de résistance tenues par les sécessionistes serbes en Croatie.

Les associations de victimes serbes évoquent pour leur part les chiffres de 220 000 réfugiés et de près de 1 200 civils tués. En première instance, les juges avaient estimé que les deux hommes faisaient partie d’une "association de malfaiteurs" dirigée par l’ancien président croate Franjo Tudjman et chargée d’expulser les Serbes de la République autoproclamée de Krajinala.

"Nos chevaliers sont de retour"

De leur côté, les Croates, qui avaient suivi le jugement sur des écrans géants sur la place centrale de Zagreb, ont laissé éclater leur joie et des scènes de liesse ont suivi l’annonce du verdict.

"Le jugement a confirmé tout ce que nous avons cru en Croatie : que les généraux Ante Gotovina et Mladen Markac sont innocents et qu'il ne s'agissait pas d'une entreprise criminelle commune organisée par le pouvoir et les forces croates dans le but d'expulser des civils, nos concitoyens de nationalité serbe", comme l'affirmait l'acte d'accusation, a déclaré le président croate Ivo Josipovic.

Des dizaines de milliers de Croates ont donc offert, vendredi, un accueil grandiose à Zagreb aux généraux "héros". Rassemblés sur la place centrale, ils brandissaient des centaines de drapeaux nationaux ainsi que des pancartes sur lesquelles était inscrit : "Nos chevaliers sont de retour, Dieu merci". Des anciens combattants en uniforme portaient des drapeaux de leurs unités du temps de la guerre serbo-croate de 1991-1995 et des photos des généraux acquittés.

Dans l'attente de l'arrivée des deux militaires, des chansons de Marko Perkovic, alias Thompson, une star locale connue comme partisan du régime pro-nazi croate mis en place pendant la Seconde guerre mondiale, étaient diffusées, au grand plaisir d'une foule euphorique. À l'arrivée des deux généraux, la foule en délire a longuement scandé: "Ante, Ante" et "Mladen, Mladen".

"Chers amis, c'est une victoire commune. Nous avons eu une 'tempête' pendant la guerre. Ceci [le verdict] est une 'tempête' juridique", a lancé le général Gotovina, en référence à l'opération "Tempête".

"Mes chers généraux, merci pour votre sacrifice. Vous êtes de retour dans la mère patrie qui a encore besoin de vous", leur a dit le cardinal Josip Bozanic durant une messe dans la soirée, tenue dans l'imposante cathédrale de Zagreb en présence de centaines de personnes.

"Qui est reponsable pour les meurtres puisque personne n'est coupable?"

Sans surprise, le verdict a été accueilli avec colère et amertume par Belgrade. L'ex-ministre serbe des Affaires étrangères Vuk Jeremic, aujourd'hui président de l'Assemblée générale des Nations unies, a dévoilé son irritation sur son compte Twitter : "Je n'ai plus aucune raison de formuler mon opinion sur le TPIY dans un langage politiquement correct."

Ce jugement a également provoqué une vague de condamnations unanimes, de l'extrême droite nationaliste à la gauche libérale en passant par l'emblématique militante de défense des droits de l'Homme, Natasa Kandic, célèbre pour avoir dévoilé par le passé des crimes de guerre commis par les forces serbes durant les guerres ayant déchiré l'ex-Yougoslavie dans les années 1990.

Dans les locaux d'une association de réfugiés serbes qui ont fui la Croatie durant le conflit, c'est la tristesse et la colère qui dominent. "Je suis choquée. Mon mari, qui était un simple fermier, a été tué pendant l'opération Tempête. Sa mort sera désormais considérée comme l'acte d'un criminel ordinaire", a déclaré à l'AFP Zivana Sapic, 62 ans, une réfugié serbe de Croatie.

"Après cette décision, je ne m'attends pas à ce que nous soyons un jour les bienvenus en Croatie", a renchéri Svjetlan Rogovic, 52 ans. Verica Nikolic, une activiste de cette association, a estimé, de son côté que ce verdict allait "saper, voire détruire toute tentative de réconciliation".

Amer, Milorad Pupovac, le leader des Serbes de Croatie, a déclaré à l'AFP: "Après ce verdict favorable aux généraux, une question cruciale reste toujours sans réponse : qui est responsable pour les meurtres, les persécutions et les destructions, puisque personne n'a été reconnu coupable ?"

FRANCE 24 avec dépêches

Tags: TPIY, Serbie, Croatie,