Après l’assassinat de l’ancien avocat d’Yvan Colonna, mardi, les violences criminelles en Corse reviennent brutalement sur le devant de la scène. Les règlements de comptes ne sont toutefois plus le fait des nationalistes mais de bandes criminelles.
L’île de Beauté a un caractère bien trempé. La Corse affiche, en effet, des chiffres de banditisme record en Europe : une trentaine d’assassinats par an. C’est plus que la Sicile, réputée pour sa mafia.
Le dernier en date n’est pas des moindres : Antoine Sollacaro, l’ancien avocat d’Yvan Colonna, condamné en juin 2011 à la prison à vie pour l’assassinat du préfet Érignac en 1998, a été criblé de neuf balles, mardi 16 octobre. L’homme s’était illustré dans le passé par son engagement nationaliste. Deux heures auparavant ce jour-là, un ancien militant, lui aussi nationaliste, reconverti dans l'immobilier, était également assassiné, en Haute-Corse.
Toutefois, si ce sont les groupes nationalistes qui ont implanté la violence sur l’île dans les années 1970, il semblerait que celle-ci soit davantage devenue, au cours de la dernière décennie, le fait de bandes criminelles. Désormais, plus besoin de revendications, comme à l’époque du Front de libération nationale de la Corse (FLNC), place à un grand banditisme aux motivations plus diverses.
Du banditisme pur
"Il y a 20 ans, la violence en Corse était une affaire politique. Aujourd’hui, c’est du banditisme pur", constate Dominique Bucchini, président de l’Assemblée de Corse, joint par FRANCE 24. "De nos jours, celui qui veut devenir un caïd n’a qu’à user et abuser de la gâchette." Depuis le début de l’année, 15 personnes ont été tuées dans des violences entre gangs, et 10 tentatives de meurtre ont été enregistrées. Une vague d’assassinats qui "tue le futur de l’île," poursuit l’homme politique communiste. Profitant d’un vide laissé après l’élimination de gros bonnets de la mafia - notamment ceux de la "Brise de mer" entre 2006 et 2009 -, de nouveaux gangs, motivés par des intérêts plus lucratifs que politiques, sont apparus au cours des dix dernières années.
Ainsi, les mobiles de ces attaques résident désormais dans le contrôle de la côte, soumise à une législation stricte en matière de construction, et dans le trafic de drogue. Les activités liées au tourisme représentent également un commerce juteux. Un "nationalisme reconverti dans l’affairisme", selon les propos de Thierry Colombié, chercheur associé au CNRS, spécialiste de la criminalité organisée et auteur de "La French Connection", les entreprises criminelles en France, interrogé par 20 minutes.
Selon Dominique Bucchini, les Corses, loin de regretter les activités criminelles liées au nationalisme, sont néanmoins confrontés à une nouvelle anarchie sur l’île. "Les gangs mettent la pression sur les maires, par exemple, pour obtenir des permis de construire", explique Dominique Bucchini. "Si ces derniers refusent, ils retrouvent leur voiture incendiée ou une bombe posée près de leur bureau..."
L’exception corse
La Corse - qui dispose d’un statut de collectivité territoriale spécifique depuis 2002 - apparaît comme un casse-tête pour les autorités.
"Sur toute autre partie du territoire, [les chiffres de la violence] susciteraient une indignation nationale", explique Jacques Follorou, journaliste spécialiste de la région, en chat sur lemonde.fr. À croire que l’indépendance voulue par les nationalistes a fait son chemin dans les esprits, car la résolution du cycle de violences qui sévit en Corse peine, en effet, à apparaître comme un sujet d’intérêt national. "Le système judiciaire et policier, ainsi que les mentalités, n'ont jamais donné réellement corps à l'idée qu'il existait en France un système criminel organisé Corse", poursuit Jacques Follorou. "De ce fait, les outils dont pouvaient disposer les magistrats ou les moyens alloués aux enquêteurs n'ont, pendant très longtemps, jamais été à la mesure de l'enjeu." Le journaliste relève que, depuis l’identification du problème criminel en Corse au début des années 1980, l’État n’a agi qu’à trois reprises.
Tentant de donner l’impression de vouloir en découdre, le Premier ministre, Jean-MarcAyrault, a qualifié la situation d’ "insupportable", mercredi 17 octobre. "Le grand banditisme est maintenant bien organisé, notamment dans sa dimension économique et financière, c’est donc sous tous ces aspects qu’il sera combattu", a-t-il affirmé. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a, quant à lui, affirmé sa détermination à lutter contre la mafia, véritable "gangrène". Il se rendra prochainement sur place avec la ministre de la Justice, Christiane Taubira.