La réforme de la loi migratoire récemment annoncée par La Havane doit permettre aux Cubains de voyager à l’étranger sans l’obtention préalable d'un permis de sortie. Mais les obstacles demeurent nombreux pour les candidats au départ.
Par la voix du journal officiel "Granma", les autorités cubaines ont annoncé, mardi 16 octobre, un allègement des conditions de sortie du territoire national auxquelles doivent se soumettre les citoyens cubains. À partir du 14 janvier 2013, ces derniers auront alors la possibilité de voyager à l'étranger sur simple présentation d’un passeport. Une disposition qui "dans son principe" constitue une "bonne nouvelle pour les Cubains afin qu’ils puissent commencer à avoir un peu plus de liberté", a réagi peu après l'annonce la Fondation nationale américano-cubaine (CANF), basée aux États-Unis.
Quelque 2 millions de Cubains ont émigré depuis l’avènement de la Révolution cubaine en 1959, en diverses vagues et pour diverses raisons, pour une population qui compte aujourd'hui 11,2 millions d'habitants.
Environ 1,8 million de Cubains vivent aux États-Unis, dont environ 1,2 million dans l'État de Floride, selon le recensement américain de 2010.
En 2011, quelque 400 000 Cubano-Américains sont ainsi venus passer quelques semaines à Cuba. Leurs "remesas" (envois d'argent) constituent une des principales sources de rentrées de devises pour Cuba, avec 2,5 milliards de dollars par an.
Cette réforme met ainsi officiellement fin à un symbole de la politique migratoire restrictive du régime de La Havane : la "carte blanche". Depuis les années 1960, les Cubains désireux de quitter l’île devait se faire délivrer ce fameux permis de sortie sur présentation d’une lettre d'invitation d’un pays étranger, où ils ne pouvaient rester que 11 mois sous peine de voir leurs biens confisqués et leurs noms inscrits sur la liste des exilés définitifs. Avec la nouvelle loi, la durée de séjour à l'étranger est portée à 24 mois. Dans le sens inverse, les expatriés pourront se rendre à Cuba sans le permis d’entrée jusqu’alors requis (voir encadré).
"Fin du 'fidélisme'"
Assimilée à la "fin du ‘fidélisme’" par la célèbre blogueuse cubaine d'opposition Yoani Sanchez, cette réforme s’inscrit, selon certains analystes, dans le mouvement de libéralisation amorcé au lendemain de l’arrivée officielle au pouvoir de Raul Castro, le frère cadet de Fidel, en 2008.
De fait, la réforme sur les voyages suit toute une série d’ouvertures à l’économie de marché : accès à la propriété privée, ventes autorisées de véhicules, possibilité de crédit bancaire, soutien aux activités libérales, etc. "Cet assouplissement suit l’idée de la libéralisation de l’économie, commente Francisco Pena-Torres, journaliste au magazine chilien "Punto Final". À partir du moment où certains Cubains pourront sortir du territoire, ils pourront créer des entreprises à l’étranger ou faire du commerce avec d’autres pays. Aujourd’hui, l’île est dans l’obligation de se développer par elle-même. Cette ouverture peut donc lui servir… dans la mesure où le pouvoir le permet."
"Poudre aux yeux"
Présenté par La Havane comme un moyen de favoriser les échanges avec les exilés cubains, l’allègement des conditions de sortie ne concerne toutefois pas la totalité des quelque 11 millions de citoyens qui peuplent l’île. Ainsi, par crainte d’une fuite massive des "cerveaux", plusieurs catégories socio-professionnelles seront encore soumises à l’obligation de solliciter une autorisation de sortie. Sont concernés les militaires, les ingénieurs, les médecins et les sportifs de haut niveau, "c’est-à-dire des personnes indispensables à la bonne marche de l’État", persifle Jacobo Machover, journaliste et écrivain cubain exilé en France depuis 1963.
"Aussitôt après le temps des annonces vient celui des restrictions, observe ce professeur à l'université d'Avignon. Cette réforme n’est que de la poudre aux yeux. Un effet d’annonce qui a fait croire partout dans le monde que les Cubains sont libres de partir, mais il y a bien trop de restrictions pour qu’on puisse affirmer une telle chose. Pourront voyager que ceux que le régime désignera".
"Moyen de contrôle"
"Seront titulaires d'un passeport, les citoyens cubains qui répondent aux dispositions établies dans la loi migratoire actualisée", précise un communiqué du ministère des Affaires étrangères cité par l’AFP. Selon la nouvelle disposition, un Cubain détenteur d’un casier judiciaire ou d’une dette avec l’État peut se voir refuser le précieux sésame.
Ces conditions d’obtention demeurent trop floues pour pouvoir considérer cet assouplissement comme une avancée démocratique. À Cuba, "les permis de sortie ont toujours été une arme de soumission : pour l’obtenir il fallait prêter allégeance au gouvernement ou se dire apolitique, écrit l’éditorialiste Fabiola Santiago dans le "Miami Herald". Ces nouvelles mesures restent un moyen de contrôle mais, cette fois-ci, par la délivrance des passeports."
"Si la possibilité de départ était absolue, il y aurait un exil massif des Cubains, affirme pour sa part Jacobo Machover. Ce n’est souhaitable ni pour La Havane ni pour Washington, qui n’a pas l’intention d’ouvrir son territoire à des milliers d’exilés."
Principal pays voisin concerné par la politique d’émigration menée par Cuba, les États-Unis restent quelque peu échaudés par les précédentes ouvertures de vannes entreprises par le régime castriste. En 1980, le "Lider Maximo" profita du départ autorisé de quelque 125 000 Cubains pour vider les prisons et les hôpitaux psychiatriques du pays…