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En Afrique du Sud, "il suffirait d’une étincelle" pour raviver la colère des mineurs

Après un week-end de tensions entre mineurs et policiers, c'est dans un calme précaire que s'est ouvert à Johannesburg le congrès de la confédération syndicale sud-africaine Cosatu, alliée au pouvoir mais de plus en plus déconnectée de sa base.

Un salaire correct et des conditions de vie décentes. C’est ce que réclament à corps et à cris depuis plus d’un mois les mineurs sud-africains. Quarante-cinq d’entre eux ont trouvé la mort ces cinq dernières semaines en faisant valoir leur droit de toucher 12 500 rands par mois (1160 euros), soit le triple de ce qu’ils gagnent actuellement pour la plupart.

La révolte de  Marikana, où 34 mineurs employés par la compagnie Lonmin ont été tués par la police le 16 août, a fait boule de neige. Les mineurs d’Impala Platinum, numéro 2 mondial du platine, sont entrés en grève dans la foulée. Le 10 septembre, les manifestations ont touché la mine d'or KDC, exploitée par le groupe Gold Fields, dans la banlieue de Johannesburg. Les activités d’Amplats (Anglo Americain Platinum, leader du secteur) ont quant à elles été interrompues la semaine dernière. Le 14 septembre enfin, le groupe australien Aquarius Platinum, quatrième producteur mondial de platine, a suspendu l’activité des mines de Kroondal, avant d’en annoncer la reprise le 17 septembre.

Le 16 septembre, un important contingent de policiers, secondés par l’armée, est intervenu pour disperser dans le calme un rassemblement de mineurs près de Rustenburg, après avoir mené la veille une opération commando nocturne dans les quartiers de Marikana pour confisquer armes blanches et bâtons. Le ministre de la Justice avait fait savoir que le gouvernement ne tolèrerait plus aucune manifestation illégale, ni le port d’armes dangereuses ou l’incitation à la violence. Depuis, un calme relatif aurait gagné le pays.

"La militarisation a calmé les choses. Aujourd’hui, les mineurs ont demandé une autorisation pour les rassemblements. Ils sont visiblement dans l’état d’esprit de conclure les négociations", constate Caroline Dumay, la correspondante de FRANCE 24 au Cap. Mais les observateurs restent méfiants. "Ce retour au calme est un effet d’optique", estime ainsi Marianne Séverin, chercheuse associée au laboratoire des "Afriques dans le monde" (LAM) de Science-Po Bordeaux. Qui précise : "Il suffirait d’une étincelle pour que ça reparte".
Jacob Zuma sur la sellette
Dépassé par un conflit qui a déjà coûté 548 millions de dollars (418 millions d'euros) au secteur, le président sud-africain Jacob Zuma n’a pas hésité à employer les grands moyens, à savoir l’armée, pour tenter de ramener le calme dans le pays, au risque de perdre sa place de président de l’ANC à la prochaine conférence élective en décembre.
C’est en effet la première fois que la police tire sur la foule à balles réelles dans l’Afrique du Sud post-apartheid et le geste reste lourd de sens. Jacob Zuma s’est vu reprocher d’employer les mêmes méthodes que pendant la période de l’apartheid, aboli en 1994. Une accusation dont il s’est défendu, assurant que l’Etat n’intervenait que "pour mettre un terme à la violence et à l'intimidation comme dans n'importe quel pays démocratique du monde". Le 15 septembre, l'évêque anglican Jo Seoka, médiateur dans les pourparlers entre les mineurs et leur direction, a pourtant mis en garde le pouvoir: "Le gouvernement doit être fou pour croire que ce qui ressemble pour moi à la répression du temps de l'apartheid puisse réussir".  
De son côté, Julius Malema, ex-leader de la jeunesse de l’ANC exclu du parti au pouvoir en février dernier pour incitation à la haine raciale, s’est de son côté engouffré dans la brèche des manifestations pour critiquer la position du gouvernement et exhorter le président Zuma à démissionner. Il s’est affiché à plusieurs reprises aux côtés des mineurs, notamment le jour de la cérémonie d'hommage aux victimes de l’assaut policier à Marikana. Appelant à une "révolution des mines", qui passerait par la nationalisation de ces dernières, il s’est montré très critique à l’égard de Jacob Zuma, qu’il a dépeint comme un pion au service des puissants groupes miniers.
Les syndicats déconnectés de leur base
Tandis que s’ouvre le 17 septembre le onzième Congrès national du Cosatu - la convention des syndicats sud-africains -, les leaders syndicaux craignent de voir le conflit dégénérer. L’accord de Marikana, conclu le 7 septembre entre le patronat, les syndicats et le ministère du Travail, s’est avéré caduc quasi instantanément. Les discours de Malema risquent eux d’attiser de nouvelles violences. Et l’écart entre leaders syndicaux et travailleurs se creuse un peu plus chaque jour. L’Union nationale des mineurs (NUM), la plus grande confédération syndicale d'Afrique du Sud, a même perdu tout contact avec sa base. 
"Cosatu est débordée par sa base : il y a de plus en plus de syndicats dissidents. C’est la première fois dans l’Afrique du Sud post-apartheid que des grévistes ne sont pas encadrés par les syndicats traditionnels", explique Caroline Dumay.
Une déconnexion que l’aile gauche de Cosatu explique par la prégnance des affaires politiques dans l’organisation. Concentrés sur les querelles internes de l’ANC - divisé entre pro et anti-Zuma - et bridés par leur alliance avec le gouvernement, les dirigeants en oubliraient l’intérêt des travailleurs. Lors du Congrès national, la confédération devrait décider si elle doit rester alignée sur les positions de l'ANC, et, au cas échéant, sur quel ANC. Des stratégies politiques qui risquent d’éclipser les questions de fond comme l’instauration d’un salaire minimum commun à tous les secteurs et de lasser une fois de plus la base ouvrière.
"Les plus pauvres ne se retrouvent ni dans l’opposition, ni dans les syndicats, ni dans l’ANC qui les a trahis. Ils ne se sentent représentés par personne alors que leurs besoins sont immenses. Si leurs conditions de vie ne s’améliorent pas, s’il n’y a pas de réforme foncière et professionnelle rapidement, l’Afrique du Sud ira vers une nouvelle révolte", conclut Marianne Séverin.