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Pour le gouvernement, l'armée n'a pas le droit de cité à Marseille

Suite à un nouveau règlement de comptes mortel à Marseille, une sénatrice socialiste provoque la polémique en évoquant l'idée de faire appel à l'armée pour sortir de la "spirale infernale". Une idée vertement rejetée par le gouvernement.

Mercredi 29 août, vers 23 heures, un couple circulant en voiture s’arrête à un feu rouge dans le 14e arrondissement de Marseille. Installé côté passager, Walid Marzouki, 25 ans, est connu des services de police pour des précédents en matière de trafic de drogue. Quelques secondes et une trentaine de douilles de Kalachnikov plus tard, l’homme est abattu. C’est le dix-neuvième mort depuis le début de l’année dans les Bouches-du-Rhône.

"Aujourd'hui, face aux engins de guerre utilisés par les réseaux, il n'y a que l'armée qui puisse intervenir," lâche le lendemain du crime Samia Ghali, sénatrice socialiste et maire des 15e et 16e arrondissements de Marseille, dans les colonnes de "La Provence". Une déclaration qui lance une polémique en France et qui fait réagir jusqu’au plus haut sommet de l’État.

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La sénatrice PS Samia Ghali appelle l'armée à intervenir à Marseille
Pour le gouvernement, l'armée n'a pas le droit de cité à Marseille

"Pas d’ennemi intérieur"

En moins d’une semaine, deux fusillades ont secoué la cité phocéenne. En 2011, une vingtaine de règlements de comptes, liés pour la plupart au trafic de drogue, ont fait 16 morts dans la région de Marseille. En ligne de mire des autorités : les quartiers nord de la ville, où règne la loi des cités.

Néanmoins, hors de question pour le gouvernement d’envisager une quelconque intervention militaire dans l’enceinte de la ville. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a ainsi rétorqué : "Il est hors de question que l'armée puisse répondre à ces drames et à ces crimes. Il n'y a pas d'ennemi intérieur." "L’armée n’a pas sa place pour contrôler les quartiers," a pour sa part réagi le président François Hollande.

Pour les forces de l’ordre, la mesure apparaît tout aussi peu envisageable. "Ce dont nous avons besoin, c’est de renforts conséquents, notamment au sein de services comme celui du renseignement criminel ou de l’investigation. Quant à l’armée, chacun son métier, elle n’a pas sa place dans nos quartiers," explique David-Olivier Reverdy, représentant de la zone Méditerranée au sein du syndicat Alliance police nationale, réfutant l’idée de zones de non droit.

Loin d’une image d’une cité phocéenne à feu et à sang, le policier tente de relativiser. "La France n’est pas en guerre. Qui plus est, faire intervenir l’armée réduirait à néant la mesure sur les zones de sécurité prioritaires [prévoyant un dispositif de sécurité renforcé dans 15 zones en France, ndlr], qui devrait être effective courant septembre," précise-t-il. Il juge en outre qu’il aurait été préférable que l’ensemble de la ville de Marseille soit concerné par la mesure et pas seulement les quartiers nord.

Annoncé durant la campagne de François Hollande, le concept de zones de sécurité prioritaires, encore flou, devrait être précisé par Manuel Valls au cours de la semaine du 10 septembre.

Économie souterraine

Habituée aux problèmes de délinquance, la deuxième ville de France connaît une recrudescence du banditisme. "Marseille est la ville française qui possède le plus de cités à l’intérieur de l’agglomération et toutes ont une économie souterraine", explique David-Olivier Reverdy. Possédant l’un des plus grands ports de la Méditerranée, la ville est une plaque tournante du trafic de drogue.

Laurent Mucchielli*, directeur de recherche au CNRS et créateur de l'Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS) à Aix-en-Provence, pointe une absence de hiérarchie au sein des réseaux. "La fréquence des règlements de comptes sanglants indique qu'il n'y a pas d'organisation pyramidale structurée mais une multitude de réseaux qui sont en concurrence les uns avec les autres," indique-t-il à FRANCE 24, n’hésitant pas à parler d’un imaginaire héroïque du bandit qui touche les jeunes des cités.

"Le trafic de drogue est devenu progressivement une véritable économie de survie dans les quartiers ghettoïsés. Il ne s'agit donc pas d'un petit réseau de délinquants mais d'un système économique généralisé," explique-t-il. Selon lui, il n'y a pas d’exception marseillaise dans le domaine du banditisme, le département de la Seine-Saint-Denis rivalisant parfois avec celui des Bouches-du-Rhône.

Pour le chercheur, la solution n'est pas dans la militarisation des quartiers. "Faire rapidement des opérations coup de poing pour arrêter dix revendeurs et un semi-grossiste ne sert pas à grand-chose. Il faut renforcer considérablement les effectifs de la police judiciaire, mais aussi donner à la jeunesse des quartiers pauvres d'autres perspectives d'avenir que la précarité."

C’est dans cette optique que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault convoquera, le 6 septembre à Matignon, un comité interministériel consacré à la question marseillaise.

* Auteur de "Vous avez dit sécurité ?" (éditions Champ social, 2012).