logo

"La fusillade d’Aurora ne fera pas avancer le débat sur les armes"

La tuerie dans un cinéma d'Aurora qui a coûté la vie à 12 personnes ravive le débat sur la réglementation des armes aux États-Unis. Ce dont les candidats à la présidentielle Mitt Romney et Barack Obama se seraient bien passés.

Depuis la fusillade le 20 juillet dans un cinéma d’Aurora, au Colorado, les deux candidats à la présidentielle Barack Obama et Mitt Romney éludent tour à tour - et tant bien que mal - la question de la restriction du port d’armes. Ils ont suspendu leur campagne durant le week-end et, lors de leur discours de soutien, ont chacun évité de sortir du registre de l’émotion. Lors de sa visite sur le lieu du drame dans la banlieue de Denver, le président américain a déclaré être venu "en père et époux" et non "pas en tant que président". Quant à Mitt Romney, il  s'est déclaré "profondément attristé par la nouvelle de la violence insensée" qui s'est déroulée à Aurora. 

C'est le maire de New York, Michael Bloomberg, qui a relancé le débat sur le port des armes dimanche 22 juillet en appelant le président démocrate et son rival républicain à prendre position immédiatement sur cette épineuse question. "Environ 34 personnes sont tuées chaque jour avec des armes à feu, a-t-il déclaré lors d’une émission sur CBS. Il faut agir en cette année d’élection. Il est temps que les deux hommes qui veulent être président des États-Unis se lèvent et nous disent ce qu'ils vont faire à ce sujet, car il s'agit à l'évidence d'un problème qui concerne tout le pays."

it

Barack Obama a préféré se positionner par l’intermédiaire du porte-parole de la Maison-Blanche, Pat Carney : "Le président croit que nous devons prendre des mesures de bon sens qui protègent les droits des Américains aux termes du deuxième amendement [de la Constitution, autorisant la détention d'armes à feu, ndlr] tout en faisant en sorte que ceux qui ne devraient pas posséder d'armes selon les lois en vigueur n'en obtiennent pas [...]. Nous faisons des progrès à cet égard, par l'amélioration du volume et de la qualité des informations reçues lors des vérifications [des acheteurs d'armes, ndlr], mais je n'ai rien de plus à vous dire sur le sujet".

"Aucun parti ne veut prendre le risque de débattre avant les élections"

Treize ans après la fusillade de Columbine, au cours de laquelle deux étudiants avaient abattu quinze personnes dans un lycée de la petite ville de Littleton, située à trente kilomètres d’Aurora, le débat sur le port d’armes n’a guère avancé. Le droit de posséder une arme à feu est garanti depuis 1793 par le deuxième amendement de la Constitution . Il est ainsi extrêmement facile d'acheter une arme à feu dans la plupart des Etats américains. Sur l'ensemble du territoire, 32 % des foyers possèdent une arme à feu, selon des statistiques officielles.

Deux mois avant le drame d'Aurora, le tueur présumé, James Holmes, avait acheté légalement quatre armes dans des magasins de la région et s’était également procuré 6 000 balles et cartouches sur Internet sans difficulté et sans éveiller le moindre soupçon de la part des autorités. Dans le Colorado, le marché des armes - en magasin ou sur Internet - n'est pas régulé. Les vendeurs n’ont donc aucune obligation de recenser leurs ventes et de les référer aux autorités, même en cas d’achat important.

Ce drame ne devrait pas conduire à légiférer sur le port d’armes, affirme Robert Spitzer, professeur de sciences politiques à l’université de New York et auteur de “The Politics of Gun Control” (Les politiques de contrôles d’armes). "Le contexte politique n’est pas propice à une nouvelle législation. Aucun parti ne veut prendre le risque de débattre. Obama ne veut pas donner le bâton à la droite pour se faire battre et préfère rester concentrer sur des sujets démocrates, commente Robert Spitzer. De son côté, Romney essaie de se dépeindre comme un modéré et un centriste, et il ne souhaite pas faire de ce sujet un thème majeur de peur de s’éloigner de son électorat."

Le débat est d’autant plus compliqué qu’il existe 50 États. "Certains États comme New York disposent de lois restrictives et d’autres, comme le Colorado, n’en ont aucune", précise Robert Spitzer.

La NRA, un puissant lobby

Toute question relative au port d'armes doit être lue à travers le prisme de la campagne présidentielle, note Cyril Vannier, spécialiste des questions internationales à FRANCE 24. "Les républicains, qui défendent le port d’armes, font attention de faire profil bas après une tuerie, commente-t-il. Quant aux démocrates, qui soutiennent un encadrement du port des armes et de leur circulation, ils ont appris à leurs dépens que de débattre de ce dossier pouvait leur faire perdre une élection."

En 1994, les démocrates ont perdu le Congrès parce qu’ils venaient de voter l’interdiction des fusils d’assaut qui, depuis, ont été à nouveau autorisés. En 2000, le candidat démocrate Al Gore, qui avait milité pour un contrôle accru des armes, avait perdu l’élection présidentielle, notamment parce que les Etats sensibles à ce sujet ne lui avaient pas apporté leur voix, estiment les experts.

Derrière ces deux défaites, on retrouve à chaque fois le très puissant lobby américain des armes à feu, sous la bannière de la National Riffle Association (NRA). Fort de plus de 4,3 millions de membres et de ses 202 millions d’euros de dons, le lobby est le plus puissant des États-Unis depuis ces dix dernières années et n’hésite pas à jouer un rôle dans les campagnes présidentielles. En 2008, la NRA avait déboursé 40 millions de dollars pour diffuser des publicités négatives sur Barack Obama, qui avait pourtant affirmé en 2008 : "Je ne vous enlèverai pas vos armes à feu".

La NRA compte bien faire de même cette année. Le lobby accuse le président Obama d'être favorable à un traité en cours de négociation aux Nations unies qui permettrait de limiter le droit constitutionnel des Américains à posséder autant d'armes à feu qu'ils le désirent. Le futur Traité sur le commerce des armes de l'ONU vise à réglementer le marché mondial des armes légères, mais la NRA affirme qu'il pourra conduire à l'adoption de lois plus strictes aux États-Unis. En vingt ans, le pourcentage d'Américains qui soutiennent un renforcement du port d’armes est passé de 78 % en 1990 à 44 % en 2010, selon un sondage de l'institut Gallup.