
Par 478 voix contre 39, le Parlement européen a rejeté mercredi l'Accord commercial anti-contrefaçon (Acta), un traité international sur la propriété intellectuelle qui été jugé dangereux pour les libertés individuelles.
Renforcer le droit de propriété intellectuel. Tel était l’objet du traité international Acta, ou Accord de commerce anti-contrefaçon, négocié à huit-clos depuis 2007. Son ambition : harmoniser les critères de protection des droits, en imposant aux fournisseurs d'accès à Internet la surveillance de leurs utilisateurs, en limitant la reproduction des contenus protégés par le droit d'auteur et criminalisant le partage de fichiers sur Internet. Il prétend également entraver la vente de médicaments génériques à bas prix.
Acta a été signé fin janvier par 22 des 27 Etats de l'UE ainsi que huit pays hors union (États-Unis, Australie, Canada, Japon, Maroc, Nouvelle Zélande, Singapour et Corée du sud). Il ne manquait que la ratification pour qu’il entre en vigueur. Elle n’a pas eu lieu.
Les députés européens se sont laissés convaincre par les réfractaires au traité. Principalement les nombreuses associations de défense d’internet ou de défense de malades, qui jugeaient le texte liberticide : sous couvert de lutter contre la contrefaçon des médicaments, le traité aurait également restreint l'accès aux médicaments génériques.
Autre point de crispation : la possibilité offerte aux fournisseurs d'accès à internet de donner les adresses IP des internautes soupçonnés de téléchargement illégal. Une disposition dangereuse, estime Alex Wilks, directeur de l’ONG Avaaz, qui a présenté aux députés européens - à l’issue de six rencontres - une pétition de près de trois millions de signatures. "[Acta] risquait de permettre à des grandes entreprises de devenir gendarmes d’internet", assure-t-il.
"Une bonne nouvelle pour la démocratie"
Pour l’eurodéputé conservatrice Marielle Gallo, l’une des rares partisane du traité, cette crainte relève de la "désinformation". Selon elle, l'entrée en vigueur d'Acta n'aurait pas entraîné, comme le craint Alex Wilks, une "criminalisation des jeunes adolescents qui téléchargent illégalement". Après le vote, l’eurodéputé a dénoncé "un manque de courage politique face au fléau de la contrefaçon", qui selon elle fait perdre chaque année 250 milliards d'euros et 100 000 emplois aux entreprises européennes.
Si la Commission européenne est apparue divisée, au Parlement européen en revanche, les députés se félicitent unanimement de l’avancée démocratique que constitue ce vote. D’aucuns se réjouissent de la naissance d’un nouveau rapport de force entre les institutions européennes, marqué par la participation active des citoyens au débat européen. "La mort d'Acta est une bonne nouvelle pour la démocratie", a commenté l'eurodéputé écologiste français Yannick Jadot.
Ce vote constitue en revanche un désaveu pour la Commission européenne qui avait, cette semaine, exhorté les élus à sauver le traité au nom de la défense des intérêts économiques des entreprises. Il lui a été reproché de tenter de faire voter le texte sans attendre l’avis de la Cour européenne de justice, qui s’attachait à préciser l’interprétation de certains points du texte.
De grandes entreprises regrettent cette occasion manquée de "protéger les industries créatives et innovantes sur le marché mondial". Ainsi Anne Bergman-Tahonla, directrice de la Fédération des éditeurs européens (FEP) et membre d’une coalition de plus de 130 organisations favorables à Acta, regrette que "’accord soit parti du mauvais pied au Parlement et ses mérites réels n’aient pas prévalu".
Le Commissaire européen au commerce Karel de Gucht semble cependant ne pas avoir dit son dernier mot. Avant d’enterrer définitivement le texte, il estime que le vote n'enlève rien à la nécessité de "protéger partout dans le monde ce qui constitue la colonne vertébrale de l'économie européenne : notre innovation, notre créativité, nos idées et notre propriété intellectuelle".