
David Sacks, conseiller spécial de la Maison Blanche pour l'IA et les cryptomonnaies, assiste à une réunion à la Maison Blanche, le 4 septembre 2025 à Washington. © Chip Somodevilla, AFP
David Sacks contre-attaque. Depuis la publication dimanche 30 novembre d'une vaste enquête du New York Times détaillant les conflits d'intérêts potentiels autour de son rôle à la Maison Blanche, l'investisseur star de la Silicon Valley mène une contre-offensive. Sur X, où il s'adresse à 1,4 million d'abonnés, il orchestre une campagne anti-Times, accusant le journal de "fabriquer des canulars" et relaye les lettres enflammées de ses avocats.
Cet homme de 53 ans occupe aujourd’hui un poste singulier au sein de l’administration Trump : conseiller spécial chargé de l'IA et des cryptomonnaies, un statut hybride qui lui permet de travailler pour la Maison Blanche tout en poursuivant son activité d'investisseur à Craft Ventures, le fonds qu'il dirige. Un "employé spécial du gouvernement", non rémunéré et exempté des obligations de transparence habituelles, mais dont chaque décision peut influer sur le milieu de la tech, où il possède des centaines de participations.
C'est exactement ce que pointe le New York Times, qui recense 20 investissements liés aux cryptos et 449 à l'intelligence artificielle susceptibles de profiter des politiques qu'il promeut à Washington. David Sacks, lui, balaie ces accusations d'un revers de main, les qualifiant de "nothing burger" ("finalement rien d'important", en français).
"Porte-parole d'une idéologie libertarienne radicale"
Pour comprendre son ascension, il faut remonter aux années 1990. À Stanford, David Sacks - né au Cap, en Afrique du Sud, et élevé dans le Tennessee - rejoint la Stanford Review, journal libertarien fondé par Peter Thiel pour combattre le multiculturalisme et le politiquement correct sur les campus. Quelques années plus tard, les deux amis écrivent ensemble "Le mythe de la diversité", une violente charge contre les politiques de discrimination positive et contre les femmes, minimisant le viol et la responsabilité "trop souvent attribuée" aux hommes. David Sacks se taille une réputation de provocateur conservateur. "Il se fait le porte-parole d'une idéologie libertarienne radicale à une époque où elle n'est pas à la mode", rappelle Niki Christoff, consultante en stratégie et ancienne cadre de Google et Uber, auprès du Washington Post.
En 1999, il rejoint Peter Thiel dans une petite start-up qui deviendra… PayPal. David Sacks en devient directeur de l'exploitation aux côtés d'Elon Musk, et entre dans la légendaire "PayPal Mafia" - ce noyau d'entrepreneurs qui marqueront la Silicon Valley pendant deux décennies. Après la vente de PayPal à eBay, David Sacks investit dans SpaceX, la société spatiale d'Elon Musk, et Palantir, l'entreprise de données cofondée par Peter Thiel. Ce dernier soutient la start-up de David Sacks, Yammer, revendue à Microsoft en 2012 pour 1,2 milliard de dollars. L'argent afflue, l'influence aussi : David Sacks devient un "angel investor" incontournable, plaçant son argent dans des sociétés comme Facebook, Uber, Airbnb et des centaines d'autres.
Puis vient Craft Ventures, sa société d'investissements créé en 2017, et le podcast All-In, lancé trois ans plus tard avec trois autres investisseurs. Une émission de plusieurs heures par semaine où on parle business, culture tech… et politique, de plus en plus franchement. La popularité du podcast transforme David Sacks en porte-voix d'une Silicon Valley qui vire à droite, lassée des régulations et séduite par les discours anti-État. L'investisseur y martèle que les États-Unis doivent cesser d'aider l'Ukraine, fustige les "réglementations lourdes" sur les cryptomonnaies de l'administration Biden et appelle le gouvernement à sauver les déposants lors de la faillite de la Silicon Valley Bank. Ses positions, d'abord isolées, finissent par rallier ses coanimateurs centristes et une partie du secteur, traditionnellement démocrate.
Une levée de fonds de 12 millions de dollars pour Trump
Politiquement, David Sacks a longtemps entretenu le flou : donateur du candidat républicain Mitt Romney en 2012, puis soutien de la démocrate Hillary Clinton en 2016, battue par Donald Trump, il reste à l'écart en 2020. Mais à partir de 2022, il assume son virage républicain et devient l'un des plus influents financiers du parti. Il soutient JD Vance, protégé de Peter Thiel, avec un don d'un million de dollars à sa campagne pour le Sénat de l'Ohio en 2022. Puis, en juin 2024, il organise une levée de fonds de 12 millions de dollars pour Donald Trump à son domicile, à San Francisco. La soirée, très médiatisée, rapproche les deux hommes. Les leaders du secteur crypto, présents autour de la table, se plaignent de la "guerre" menée selon eux par Joe Biden contre leur industrie et trouvent en Donald Trump une oreille attentive, selon le Washington Post.
Quelques jours plus tard, le candidat républicain affiche un virage spectaculaire : lui qui qualifiait les cryptos "d'escroquerie" promet désormais de soutenir le secteur. Lorsque Donald Trump participe au podcast All-In, il parle IA, infrastructures électriques pour rivaliser avec la Chine et de "génies de la Silicon Valley", affirmant avoir compris l'importance de l'intelligence artificielle "chez David [Sacks]".

Après son élection en novembre 2024, le rapprochement se formalise. Le président élu propose à David Sacks un poste taillé sur mesure : "tsar" de l'IA et des cryptomonnaies. Il accepte, à la condition de conserver son rôle chez Craft Ventures. Ce qu'il obtient. Trois jours après son investiture, Donald Trump signe deux décrets majeurs sur l'IA et les cryptos, David Sacks à ses côtés : "Ces décrets vont rapporter beaucoup d'argent au pays", affirme le président. "Et David en fera de même. Vous devez absolument le connaître. Il est unique en son genre".
Son influence s'étend rapidement. David Sacks ouvre les portes du pouvoir à des dirigeants de la Silicon Valley comme Jensen Huang, patron du géant des puces électroniques Nvidia, et plaide pour l'assouplissement des restrictions à l'exportation de puces américaines, selon cinq sources citées par le New York Times. Il se rend en mai 2025 au Moyen-Orient pour négocier la livraison de 500 000 puces d'IA aux Émirats arabes unis, et convainc Donald Trump d'autoriser Nvidia à vendre à la Chine ses puces électroniques - une décision impensable sous l'ère Biden.
"Je ne voulais même pas donner l'apparence d'un conflit d'intérêts"
Cette visibilité politique propulse aussi sa notoriété personnelle. All-In atteint six millions d'écoutes par mois, sa conférence annuelle génère plus de 21 millions de dollars de recettes, et le groupe lance même une tequila à 1 200 dollars la bouteille, selon le New York Times. Lors d'un dîner à la Maison Blanche en septembre, David Sacks se dit reconnaissant de pouvoir travailler à la fois dans la tech et au sein du gouvernement : "C'est un grand honneur d'avoir un pied dans chacun de ces univers".
Avant son entrée au gouvernement, le nouveau tsar de l'IA affirmait dans All-In avoir vendu pour environ 200 millions de dollars en cryptomonnaies "parce que je ne voulais même pas donner l'apparence d'un conflit d'intérêts". Mais ses déclarations d'éthique, rédigées sur la base d'informations qu'il a lui-même fournies, ne révèlent pas la valeur des participations qu'il conserve dans des sociétés liées à la crypto et à l'IA. Un manque de transparence qui alimente aujourd'hui les accusations portées contre lui.
L'enquête du New York Times affirme qu'il aurait contribué à façonner des politiques favorisant ses proches et ses investissements, notamment via le soutien au Genius Act, qui instaure un dispositif législatif pour les "stablecoins", des cryptomonnaies adossées à une devise classique, ou via les décisions sur Nvidia. L'ultraconservateur Steve Bannon, ancien stratège de Donald Trump tombé en disgrâce, l'accuse d'incarner "l'oligarchie technocratique ascendante".
David Sacks réplique : le New York Times n'aurait produit qu'un "article sans intérêt", composé "d'anecdotes qui ne corroborent pas le titre". Il affirme avoir "démonté en détail" les arguments du journal au fil des cinq derniers mois et l'accuse d'avoir décidé de publier malgré tout un récit "qui ne tient pas debout". Sur son compte X, il diffuse la lettre de ses avocats, qui accusent le quotidien d'avoir voulu fabriquer un "hit piece" ("un coup médiatique", en français).
"Nos journalistes n'ont aucun parti pris : ils examinent les pistes, les vérifient de bonne foi auprès des personnes concernées et publient ce qu'ils confirment. C'est précisément ce qui s'est passé ici", rétorque un porte-parole du journal sur le compte communication du journal. "Franchement, c'est génial que vous parliez de l'article, car cela attire plus de lecteurs qui le recherchent et le lisent", poste de son côté Ryan Mac, l'un des journalistes ayant contribué à l'enquête.
