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RéessayerLe bras des services de renseignement ukrainiens s’étend-il jusqu’au Sénégal ? Leur implication a été évoquée dans le cas d’explosions ayant endommagé le cargo Mersin, accusée d’appartenir à la "flotte fantôme" russe, au large de Dakar.
Le Mersin, qui bat pavillon panaméen mais appartient à un armateur turc, a été touché par quatre explosions extérieures à sa coque jeudi 27 novembre, a reconnu Besiktas Shipping, la société qui exploite ce navire, lundi 1er décembre.
Une cible valide aux yeux des ukrainiens
"La situation a été immédiatement maîtrisée et tous les membres d'équipage sont sains et saufs ; il n'y a aucun blessé, aucune perte humaine et aucune pollution", a précisé Besiktas Shipping tout en notant que l’origine des explosions n’a pu être déterminée.
Les soupçons se sont rapidement tournés vers l’Ukraine, qui n’a pas revendiqué officiellement d’opération contre le Mersin. Pas étonnant : ce navire, qui transportait de l’essence, n’est sur aucune liste de sanctions et si l’Ukraine est réellement à l’origine des explosions, "elle ne va pas vouloir admettre officiellement être impliquée", souligne Dirk Siebels, spécialiste de sécurité maritime pour le cabinet de conseil Risk Intelligence.
En temps de guerre, "les belligérants doivent faire la différence entre cibles militaires et civiles. Même si les deux guerres mondiales ont démontré que la marine marchande pouvait devenir une cible dans le cadre de la guerre économique", souligne Basil Germond, spécialiste des questions de sécurité internationale et maritime à l’université de Lancaster. Il n’empêche, dans le cas du Mersin, un navire marchand sans lien officiel avec la Russie, une revendication ukrainienne pourrait être controversée.
Pour autant, ce cargo "est une cible valide aux yeux des Ukrainiens", assure cet expert. Le Mersin a été identifié à plusieurs reprises dans des ports russes depuis le début de l’année, comme Novorossiysk et Touapsé, sur la mer Noire, ou encore Oust-Louga, dans le golfe de Finlande, selon le site d’investigation russe The Insider.
Le Mersin a également transporté du pétrole russe, souligne Bloomberg, premier média occidental à avoir révélé les explosions sur ce cargo. "Pour les autorités ukrainiennes, tout navire qui transporte du pétrole ou des cargaisons russes fait entrer de l’argent dans les caisses russes, et donc, par extension, contribue à financer l’effort de guerre", résume Dirk Siebels.
Une hausse des attaques contre la "flotte fantôme" russe
Surtout, l’incident au large du Sénégal intervient dans un contexte de hausse des attaques contre des navires assimilés à la "flotte fantôme" russe, c’est-à-dire ces navires utilisés par Moscou pour exporter ses hydrocarbures en contournant les sanctions internationales.
Ainsi, "le mode opératoire ressemble beaucoup à celui utilisé contre d’autres cargos du même genre ces derniers mois", note Dirk Siebels. Les Observateurs de France 24 ont comptabilisé sept navires liés à la Russie endommagés ou qui ont coulé après des "mystérieuses" explosions au large de la Libye, de la Turquie ou encore de l’Italie, depuis décembre 2024.
Aucun de ces bateaux n’était sur une liste de sanctions, et "l’Ukraine n’a jamais revendiqué ces opérations, mais tous les navires avaient transporté des hydrocarbures russes et leur coque avait été endommagée par des explosions", précise Dirk Siebels.
Le pétrolier Mersin, endommagé au large du Sénégal
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Accepter Gérer mes choixDeux jours après les avaries subies par le Mersin, deux autres cargos de la "flotte fantôme" russe ont été attaqués en mer Noire. Et cette fois-ci, Kiev a revendiqué les opérations.
Des drones navals Sea Baby ont infligé de lourds dommages vendredi 28 et samedi 29 novembre à deux navires au large des côtes turques. Les cargo Kairo et Virat - battant tous deux pavillon gambien - étaient vides au moment de l’attaque et se dirigeaient vers le terminal pétrolier de Novorossiysk.
C’est la première fois que Kiev revendique ouvertement une telle opération et utilise des drones navals contre des navires civils. Contrairement aux explosions sur les autres cargos, cette fois-ci, le Kairo et le Virat étaient sur la liste des navires sanctionnés pour faciliter les exportations illégales de pétrole russe.
Si les cibles pouvaient ainsi apparaître comme plus légitimes, l’opération n’en demeure pas moins risquée. "En visant des navires dans des zones maritimes commerciales où il y a beaucoup de trafic, il est toujours possible de frapper la mauvaise cible, ou de faire des dommages collatéraux, ce qui peut entraîner des pertes civiles", souligne Dirk Siebels.
C’est probablement pourquoi l’Ukraine s’est empressée de préciser avoir utilisé ses meilleurs drones navals. "Ces drones contrôlés à distance via une connexion par satellites Starlink bénéficient depuis leur mise à jour de 2025 d’une reconnaissance d’obstacles assistée par intelligence artificielle et d’un suivi automatique de cible amélioré", explique Patrick René Haasler, analyste spécialisé dans l’espace post-soviétique à l’International Team for the Study of Security (ITSS) de Vérone.
Il est cependant crucial de s’assurer que ces navires ne transportent pas de pétrole au moment de l’impact. "Les drones Sea Baby transportent d’importantes charges explosives de 850 kg, ce qui peut entraîner des ondes de choc capables d'endommager les navires à proximité, tout en créant d’importants dégâts environnementaux si le cargo est rempli de pétrole", souligne Patrick René Haasler.
Vers un conflit global ?
Malgré ces risques, les attaques ukrainiennes contre la "flotte fantôme" russe sont compréhensibles, selon Patrick René Haasler : "La Russie est en train de renforcer les défenses de ses infrastructures énergétiques contre les attaques de drones ukrainiens. L’Ukraine a pu se dire que les opérations contre ces installations risquaient d’être moins efficaces à l’avenir, ce qui a pu l’amener à considérer ces cargos comme des cibles de choix".
La "flotte fantôme" peut sembler une cible d’autant plus attractive que "ces cargos doivent, par définition, conserver leur indépendance et naviguer aussi discrètement que possible. Ils sont donc difficilement défendables par la Russie", souligne Basil Germond. Moscou, qui refuse de reconnaître l’existence d’une "flotte fantôme", ne va pas les faire escorter par des navires militaires russes ou y faire embarquer des militaires russes.
Il n’empêche que si les services de renseignement ukrainiens sont bel et bien à l’origine des explosions ayant endommagé le Mersin au large des côtes sénégalaises, l’opération constitue une véritable extension du domaine du conflit russo-ukrainien au delà de la mer Noire ou de la Méditerranée.
De là à monter une opération à plus de 5 000 kilomètres de Kiev ? "Les Ukrainiens ont déjà par le passé été impliqués dans des opérations contre des mercenaires russes, notamment au Soudan", souligne Dirk Siebels.
Pour lui, c’est un effort qui se justifie si le jeu en vaut la chandelle : "Si l’Ukraine veut faire passer le message que les navires qui acceptent de transporter du pétrole russe ne sont à l’abri nulle part, c’est le genre d’opération qui peut marquer les esprits."
S’il s’agit bien d’une opération ukrainienne, "on peut surtout se demander si cette guerre n’est pas entrée dans une nouvelle phase, celle d’un conflit global", s’interroge Basil Germond. Une guerre qui ne reste plus confinée aux frontières ukrainiennes, ou même de l’Europe avec la guerre hybride russe, mais qui s’aventure jusque dans les eaux de l’Atlantique au large de l’Afrique.
