Le mufti de Dubaï vient d'émettre une fatwa autorisant les femmes à devenir mufti. Même si rien n'indique qu'elle soit respectée dans tous les États, cette décision constitue une réelle avancée pour les droits des femmes musulmanes.
Tel un cadeau pour la Journée internationale de la femme, célébrée chaque année le 8 mars, Ahmed Al-Haddad, grand mufti de Dubaï, a émis, en février, une fatwa autorisant les femmes à devenir grand mufti dans les pays musulmans.
"Récemment, on m’a demandé si une femme avait le droit de devenir mufti. J’ai répondu ‘oui’ parce que rien dans la religion ne l’en empêche", raconte-t-il.
Une nouvelle porte vient de s’ouvrir devant les musulmanes. Mais l’accès des femmes à certaines fonctions (magistrat, notaire pour acte de mariage, imam de mosquée, soldat, etc.) continue de faire débat dans le monde musulman. Ceux qui s’y opposent considèrent que la femme n’a pas les compétences nécessaires pour occuper ce genre de postes. Elle peut être, en outre, source de tentation pour les hommes, notamment lorsqu’elle se baisse pour prier.
Ahmed Al-Haddad justifie sa fatwa par le fait que "Aicha, la femme du prophète Mohammed et certaines savantes de son époque [570-632] étaient muftis. L’accès à ce ‘poste’, dépendait du niveau de connaissances en matière de religion de la personne concernée."
En effet, le rôle d’un mufti est d’informer sur la religion musulmane. Il interprète la loi canonique musulmane, et a le droit d’émettre des fatwas.
Cette tradition vient de l’époque des Omeyyades (661-750) et des Abbassides (750-1258). Sans Prophète, et sans ses califes ni ses compagnons, les musulmans de cette époque ont ressenti le besoin d’avoir des avis sur ce qu’ils doivent faire ("halal") ou ne pas faire ("haram") afin d’être en conformité avec l’islam. Petit à petit, les musulmans ont commencé à consulter les dignitaires religieux pour leur poser des questions dans tous les domaines. Ainsi, la tradition des fatwas s’est perpétuée.
"Une mufti pour femme uniquement"
La dernière fatwa d’Ahmed Al-Haddad n’est pas sans rappeler celle lancée, en 2003, par Soad Saleh, professeure des études islamiques à l’université Al-Azhar, au Caire. Elle réclamait alors le droit de désigner une femme mufti en Egypte pour répondre aux questions concernant les femmes uniquement.
Sa demande est restée lettre morte, mais sa détermination n’a pas été entamée pour autant. "Nous ne baisserons pas les bras, affirme-t-elle dans une interview accordée au quotidien panarabe Asharq Alawsat. Personne ne peut nier qu’il existe des femmes compétentes."
Le débat n’est toujours pas clos et aucune décision n’a été prise dans ce sens en Egypte.
Avec sa nouvelle fatwa, Ahmed Al-Haddad va plus loin que Soad Saleh puisqu’il autorise la femme à devenir mufti pour les femmes, mais aussi pour les hommes. "Ce n’est pas contraire à la religion", martèle-t-il.
D’autres muftis en faveur de cette fatwa
D’autres savants musulmans approuvent les propos d’Al-Haddad. "La masculinité n’est pas une condition pour devenir mufti. Une femme peut le devenir", affirme le docteur Abdallah Attayar, professeur saoudien.
Le mufti de la mosquée de Paris (d’origine marocaine), joint par FRANCE 24, partage l’avis d’Ahmed Al-Haddad. "Un mufti doit bien connaître le Coran, la langue arabe, la Sunna, les coutumes et les précédentes fatwas. Il n’a jamais été dit qu’il faut qu’il soit un homme."
Néanmoins, Ahmed Al-Haddad déplore le manque de femmes compétentes pour prétendre au poste.
Jusqu’à présent, aucun pays musulman ne compte de femmes muftis. Le docteur Al-Haddad a relancé le débat, du moins aux Emirats arabes unis. Toutefois, il sait pertinemment qu’en dépit du fait que certaines fatwas ont eu un poids dans le monde musulman (notamment celles sur l’obligation du port du voile, le djihad appliqué aux temps modernes, les différentes formes de mariage musulman, etc.), "l’avis d’un mufti reste non contraignant."
Par ailleurs, Al-Haddad souligne que l’accès des femmes à ce poste aux Emirats arabes unis dépend d’une décision politique.