Diffusé ce vendredi en France, le film "Beyrouth Hôtel", de Danielle Arbid, a été interdit au Liban. Motif : il évoque l’affaire Hariri, en cours d'instruction. La production, qui crie à la censure, va intenter une procédure.
"Les services de la Sûreté générale nous ont fait sentir qu’ils n’avaient jamais vu un film pareil. C’est flatteur ! Mais ils ont cherché à politiser le propos, ce qui est inacceptable", explique à FRANCE 24 la réalisatrice Danielle Arbid après l’interdiction de diffusion de son troisième long-métrage "Beyrouth Hôtel". Le film devait sortir le 19 janvier au Liban, il ne sera finalement diffusé que le lendemain... en France, sur la chaîne Arte. "Les autorités considèrent que le film porte atteinte à la sécurité de l’État, c’est fort quand même", estime David Thion, coproducteur du film en France pour la société Pelléas.
Ce n’est pas la première fois que Danielle Arbid voit l’un de ses longs-métrages confronté à la censure. Son premier, "Dans les champs de bataille" (sorti en 2004), avait été interdit aux moins de 18 ans. Trois ans plus tard, "Un homme perdu" avait été jugé obscène et le retrait de plusieurs séquences exigé.
Danielle Arbid revient sur le contexte de son long-métrage : "'Beyrouth Hôtel' se situe entre le film d’amour et de genre. Il ne défend pas une prise de position politique, mais explore un matériau dramatique. L’idée principale, c’est cette sensation de peur à Beyrouth." Sur fond de manipulations et de lutte d’influence entre services secrets, l’œuvre se penche sur une rencontre entre un avocat français (Mathieu, incarné par Charles Berling) et une chanteuse (Zoha, jouée par Darine Hamzé), dans un Beyrouth rongé par la paranoïa.
Davantage que pour l’histoire d’amour qu’il relate - et ses quelques scènes "osées" -, "Beyrouth Hôtel" a surtout dérangé pour sa dimension politique. Notamment lorsque Abbas, un confrère de Mathieu en fuite, le contacte pour revendre à l’ambassade de France des informations sur un "proche du kamikaze" auteur de l'attentat contre l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, en février 2005. Pour les autorités libanaises, le seul fait que l'affaire soit toujours en cours d'instruction suffit à motiver l'interdiction du film. Un argument facile qui cache mal une autre réalité : le rôle du Hezbollah au pays du Cèdre. Mis en cause dans l'attentat contre Rafic Hariri, le mouvement chiite est aujourd'hui considéré comme l'une des forces les plus influentes du gouvernement libanais.
"'Beyrouth Hôtel' ne comporte aucun scoop"
Inédite sur les écrans libanais, la trame orientée "film d’espionnage" a visiblement déplu : "Beyrouth Hôtel" évoque ainsi les agents libanais à la solde d’Israël, la rivalité entre deux services de renseignements… "Il y a beaucoup d’éléments pris dans la presse, pas de scoop. Même s’il s’agissait d’inventions, c’est mon droit puisqu’il s’agit d’une fiction. Dans le monde, beaucoup de films font référence à l’actualité. Je ne vais pas attendre 100 ans que le sujet soit du domaine public", s’exclame la réalisatrice.
Pourtant, "Beyrouth Hôtel" ne fait aucune référence à des communautés ou à des appartenances. "À un moment, l’histoire parle de la Bekaa, une région plutôt chiite, où se cache Abbas, mais à part ça…" Il s’agit plutôt d’un point de vue sur la capitale ("une ville intense, traversée de forces obscures") mais aussi sur la société libanaise : "Si vous croyez avoir tout compris sur le Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué", rappelle à juste titre une réplique.
"Une atteinte à la liberté d’expression"
Tel que présenté aux autorités libanaises pour autorisation préalable, le long-métrage ne comprenait pas d’intrigue sur l’assassinat d’Hariri. "C’est une atteinte à la liberté d'expression. J’en serais encore à mon premier film si j’avais dû respecter les procédures de la censure libanaise. Leur système de lecture des scénarios est illégal et ne figure nulle part dans les textes de loi."
Pour défendre ses convictions, la réalisatrice et sa boîte de production, Orjouane, ont décidé d’entamer une procédure assez rare au Liban. La production a ainsi déposé un recours auprès du gouvernement, qui a jusqu’à la fin du mois février pour éventuellement revenir sur sa décision. "Mon film n’est ni militant ni blasphématoire. Et j’attends qu’on me prouve en quoi il est nuisible à la stabilité du pays." Car le motif officiel, "atteinte à la sécurité de l’État", a de quoi surprendre. "Le Liban est supposé être le plus ouvert et le plus libre de tous les pays arabes. Cela donne l'impression d'une régression. Plusieurs films libanais ont été censurés sans que leurs auteurs ne contestent", déplore la réalisatrice.
Selon Sabine Sidawi, productrice du film au Liban, "c’est la deuxième fois que ce cas de figure se produit. La première, c'était dans les années 1970, pour une pièce de théâtre…" Juste avant la guerre civile.