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"La Birmanie est en train de renverser le cours de son histoire"

Longtemps au ban de la communauté internationale, la Birmanie semble désormais engagée sur le long chemin de la réconciliation avec ses minorités ethniques, comme l’atteste la signature, ce jeudi, d’un cessez-le-feu avec la rébellion karen.

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Thein Sein, en mars 2011, le régime birman multiplie les signes d’ouverture pour ne plus être considéré comme un État voyou. Dernier signe en date de cette détente, la signature, le jeudi 12 janvier, d’un cessez-le-feu avec les rebelles karens, issus d’une minorité ethnique de l’est de la Birmanie. Un accord qui pourrait mettre un terme à l’une des plus anciennes guerres civiles au monde, entre l'Armée de libération nationale karen (KNLA), qui revendique davantage d’autonomie, et le pouvoir central birman.

Après plusieurs heures d'entretiens à Hpa-an, la principale ville de l'État Karen, les dirigeants de l'Union nationale karen (KNU) ont fini par trouver un accord avec une mission gouvernementale. "Cette réunion ne visait pas seulement un cessez-le-feu mais aussi la paix. Nous allons continuer d'y travailler", s'est félicité le ministre birman de l'Immigration, Khin Yi.

Côté karen, le porte-parole de la KNU, David Htaw, a salué un cessez-le-feu "fondé sur la confiance", précisant qu'un représentant officiel de la rébellion serait nommé sous 45 jours pour poursuivre les discussions.

"C’est un accord historique, une avancée incroyablement importante, analyse pour FRANCE 24 Jim Della-Giacoma, directeur du bureau Asie du Sud-Est de l'International Crisis Group. Cet accord va encourager les autres groupes rebelles à signer des cessez-le-feu", avance-t-il.

Car les Karens ne sont pas la seule minorité à être enlisée dans un conflit avec le gouvernement central. C’est le cas pour environ un tiers de la population birmane, depuis l'indépendance du pays en 1948.

Le correspondant de FRANCE 24 en Asie du Sud-Est, Cyril Payen, souligne lui aussi la portée de l’accord, "une bonne nouvelle de plus, qui vient s’ajouter aux signes encourageants envoyés récemment par le pouvoir birman". Il rappelle que la communauté karen était "l’une des dernières qui refusaient de signer un cessez-le-feu avec le pouvoir", tout en soulignant toutefois "la fragilité" de la trêve à la frontière orientale de la Birmanie, "véritable front depuis plus de 60 ans".

"Accélérer son développement"

L’accord avec les Karens s’inscrit dans un mouvement d’apaisement initié par le pouvoir birman, qui semble disposé à tourner la page des années d’isolement et de répression. Pourtant lui-même issu de la junte militaire, qui a tenu le pays d’une main de fer pendant près de 40 années, le président Thein Sein a mis en place un train de réformes politiques depuis son arrivée au pouvoir en mars 2011.

La libération, en novembre 2010, de l’opposante Aung San Suu Kyi, véritable icône de la lutte pacifique pour la liberté, en est l’exemple le plus symbolique. Cette dernière a d’ailleurs depuis rencontré le président et annoncé que son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), allait prendre part aux législatives partielles du 1er avril, après avoir reçu l’autorisation des autorités.

"La Birmanie est en train de renverser le cours de son histoire, considère Jim Della-Giacoma. Le pays n’est plus le paria qu’il était, preuves en sont les récentes visites de la chef de la diplomatie américaine, Hillary Clinton, et de son homologue britannique."

Selon lui, le pays, l’un des plus pauvres au monde, "ne veut plus être la traîne et jalouse la réussite de ses deux puissants voisins que sont l’Inde et la Thaïlande". "C’est pour mettre en place des réformes économiques, qui doivent permettre au pays d’accélérer son développement, que les changements politiques ont été décidés."

La répression continue dans le nord du pays

La Birmanie veut redevenir un pays fréquentable

La Birmanie doit accueillir les prochains jeux d’Asie du Sud-est en 2013 avant de prendre la présidence de l’Asean (l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est) en 2014.

Ces réelles avancées démocratiques ne doivent cependant pas occulter une réalité toujours difficile dans le pays. "Deux obstacles entravent cette marche vers la normalisation de la Birmanie : les conflits avec les minorités ethniques et les prisonniers politiques, qui croupissent toujours dans les geôles birmanes", estime Cyril Payen.

De nombreux opposants et journalistes sont toujours emprisonnés dans le pays, malgré la libération, en octobre 2011, de milliers de prisonniers.

Sur le plan sécuritaire, le nord du pays est toujours le théâtre d’affrontements meurtriers, précise Jim Della-Giacoma. "Je reviens de l’État de Kachin, dans l’extrême nord du pays, où l'armée birmane continue sa répression."

Malgré l’accord avec les Karens, qui devrait permettre de pacifier l’est du pays, la résolution des conflits ethniques est loin d’être achevée. C’est pourtant l'une des conditions préalables fixées par les Occidentaux à une levée des sanctions toujours en vigueur contre le pays.