Bradley Manning, le soldat accusé d'être à l'origine de fuites ayant profité au site WikiLeaks, comparaît devant un tribunal militaire. Son avocat a demandé la récusation du procureur pour risque de partialité. En vain.
Vendredi 16 décembre, première journée d’audience du procès de Bradley Manning devant la justice militaire américaine sur la base de Fort Meade, près de Washington, la défense du jeune soldat, accusé d’avoir transmis à WikiLeaks des documents militaires américains sur les guerres en Irak et en Afghanistan ainsi que 260 000 dépêches diplomatiques, a demandé la récusation du procureur. En vain.
L’avocat de Manning, David E. Coombs, plaidait le risque de partialité du magistrat instructeur de l’affaire, arguant du fait que celui-ci était procureur militaire de carrière. Il a également contesté le fait que seuls deux témoins sur les 38 requis par la défense, dont l'ancien chef du Pentagone Robert Gates, ont été autorisés à déposer, contre 20 sur 20 pour l’accusation.
Incarcéré depuis 18 mois, Bradley Manning a comparu pour la première fois à la veille de ses 24 ans. S’il fait figure pour certains d’irresponsable, il est un héros pour les supporters de WikiLeaks et de son emblématique co-fondateur, Julian Assange.
"Collusion avec l’ennemi"
Parmi la vingtaine de chefs d’accusation retenus contre lui figurent ceux de "diffusion de renseignements militaires" et de "publication sur Internet de renseignements en sachant qu'ils seront accessibles à l'ennemi". S’il est reconnu coupable, il risque la perpétuité sans remise de peine possible, à moins que n’intervienne la grâce présidentielle.
Au cours de l’audience préliminaire, qui devrait durer cinq jours, la cour passera en revue les accusations afin de se prononcer pour ou contre la saisie de l’affaire par une cour martiale. Parmi les points qui seront examinés : l'impact des documents livrés sur la sécurité des États-Unis mais aussi sur celle des informateurs de l’administration américaine. "La diffusion de ces documents a mis en danger beaucoup d’Irakiens qui ont dû fuir leur pays par peur de représailles", estime ainsi Jolyon Howorth, professeur en relations internationales à l’université de Yale, qui juge que Manning a eu un comportement "totalement irresponsable".
Un avis que ne partage pas Jean-Marc Manach, journaliste à Owni, le site français qui a diffusé l’intégralité des documents WikiLeaks sur la seconde guerre en Irak. "On a beaucoup diabolisé la fuite de documents, mais force est de constater un an après que WikiLeaks n’a fait aucun mort, sinon l’administration américaine l’aurait révélé."
Procès pour l'exemple
L’audience sera sans doute aussi l’occasion pour la défense de soulever la question épineuse des conditions d’incarcération de Manning à la prison de Quantico. Sur son blog, David E. Coombs énumère ainsi une série de contraintes imposées au jeune homme par peur qu’il n’en vienne au suicide, comme l’impossibilité de dormir en journée, ou la surveillance quasi permanente des gardiens qui devaient s’enquérir de son état de santé toutes les cinq minutes, y compris la nuit.
Pour nombre de commentateurs, le jeune homme n’échappera pas à la prison à vie. L'ancien secrétaire d'État adjoint aux affaires publiques P.J. Crowley, qui avait pourtant démissionné en mars après avoir qualifié de "ridicule, improductif et stupide" le traitement réservé au soldat Manning, a ainsi déclaré à France 24 : "Nous parlons de dizaines de milliers de documents officiels qui touchent aux relations des Etats-Unis avec tous les pays du monde". Pour lui, Manning s’est montré imprudent en diffusant des documents dont il ne connaissait sans doute pas la portée.
"La méthode et les révélations de WikiLeaks ont beaucoup choqué le gouvernement américain", juge pour sa part Pierre Conesa, chercheur associé à l’Institut de recherches internationales et stratégiques (Iris). Pour lui, cela vaudra probablement à Manning d’être "condamné très sévèrement pour décourager toute initiative de dévoiler des documents confidentiels via Internet". "C’est paradoxal de voir que l’homme le plus en bas de l’échelle risque d’être sévèrement condamné, tandis que les plus hauts placés, ceux qui ont menti publiquement comme Powell ou Bush, ne seront jamais jugés", commente t-il, ajoutant que derrière Manning, "c’est Julian Assange qui est visé".