
L'Irak s'apprête à assurer seul sa sécurité après le départ des troupes américaines déployées dans le pays, le 31 décembre. Mais la capacité de ses forces armées à assurer la stabilité du pays continue à poser question.
La bannière étoilée a été officiellement repliée par l’armée américaine, ce jeudi 15 décembre en Irak, lors d’une cérémonie marquant symboliquement la fin de son intervention dans le pays.
Un peu moins de neuf ans après l’offensive lancée contre le régime de Saddam Hussein, les derniers soldats américains qui restent en Irak doivent quitter le pays d’ici au 31 décembre, conformément à la promesse qu’avait faite le président Barack Obama lors de sa campagne en 2008.
Violence persistante
Pourtant à l’heure d’assumer seul sa sécurité, l’Irak semble loin d’être pacifié et sa capacité à endiguer toute forme de violence sans l’aide de l’armée américaine, qui a compté jusqu'à 505 bases et 171 000 soldats sur place, pose question. Si la violence a sensiblement diminué après le pic sanglant enregistré au cours des années 2006 et 2007, les attentats, les exécutions et les kidnappings restent fréquents dans le pays. En novembre, 187 Irakiens, dont 112 civils, 42 policiers et 33 soldats, ont encore été tués dans des attaques, selon des statistiques officielles. Le mois précédent, 258 personnes avaient perdu la vie dans les mêmes conditions.
Toutefois, acteurs et observateurs s'accordent pour dire que Bagdad dispose de forces de sécurité capables de remplir leurs missions. "Les forces de sécurité irakiennes ont acquis ces huit dernières années la capacité de gérer les menaces intérieures", expliquait récemment à l'AFP le général américain Robert L. Caslen, commandant du Bureau en charge de la coopération pour la sécurité en Irak (OSCI).
Des forces "opérationnelles"
Interrogé par FRANCE 24, Khattar Abou Diab, politologue spécialiste du monde arabe et professeur à l'université Paris-XI, abonde également dans ce sens. "Même si le pays reste marqué par la violence, l’armée et les forces de sécurité irakiennes ont montré ces derniers temps un peu plus de professionnalisme sur le terrain", explique-t-il.
À quelques jours du retrait américain, Régis Le Sommier, directeur adjoint de la rédaction de l’hebdomadaire français Paris Match et auteur de "L’Irak n’existe plus" fait, lui, remarquer qu’elles sont déjà à l’œuvre. "Les forces armées irakiennes sont opérationnelles et en charge de la sécurité depuis plusieurs mois, confie-t-il à FRANCE 24. Les opérations communes avec les troupes américaines ont cessé, et la décision de mener des missions sur le terrain sont prises par l’armée irakienne."
Des progrès qui tranchent avec le chaos dans lequel elles étaient plongées après la chute de Saddam Hussein, en 2003. Démantelées par les États-Unis après l'invasion du pays pour purger le principal bastion du pouvoir sunnite, elles ont été reconstituées et formées par les Américains et l’Otan.
Dimension confessionnelle
Seul hic, les 900 000 membres des forces de sécurité irakiennes appartiennent aujourd'hui en grande partie à la communauté chiite, majoritaire dans le pays. Un phénomène qui, dans le contexte de très fortes tensions que connaît l'Irak actuellement, ne cesse d'inquiéter. "Si les capacités de ces forces à remplir leurs missions ne sont pas remises en cause, il existe des facteurs d’ordre politique et confessionnel qui risquent d’engendrer des règlements de comptes entre les milices sunnites mises sur pied par les Américains pour lutter contre le terrorisme et les forces régulières à majorité chiite", prévient Khattar Abou Diab.
Une allusion aux dizaines de milliers de miliciens de la Sahwa ("réveil" en arabe), une force formée à la fin de 2006 dans les régions sunnites chargée par Washington de mater l’insurrection et le réseau Al-Qaïda, que le gouvernement du Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, s’apprête à démanteler, la jugeant désormais inutile.
Le plus grand défi du pouvoir consiste à réintégrer les sunnites dans ses forces de sécurité, reprend Régis Le Sommier, afin de préserver l’unité du pays. "Le Premier ministre doit surmonter sa méfiance envers les éléments qui peuvent remettre en cause son autorité et faire un geste à l’égard de la communauté sunnite, explique-t-il. Sinon, dans un pays qui compte plus de 30 % de chômage, certains éléments de ces milices pourraient être tentés de recréer des troubles en cas de désœuvrement."
Or, les derniers signes donnés par le régime aujourd’hui dominés par les chiites ne sont pas de bon augure, estime le journaliste. Ces dernières semaines, près de 600 personnes soupçonnées d'appartenir au parti Baas - autre symbole de la puissance sunnite sous Saddam Hussein et interdit en Irak depuis la chute de l’ancien régime - ont été arrêtées par les forces de sécurité. "Cette décision démontre qu’il y a une tentation des autorités de resserrer le contrôle sur le pays sur fond de velléités sectaires, qui pourrait compliquer la réconciliation nationale et faire douter des intentions des forces de sécurité", conclut Régis Le Sommier.