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Bras de fer entre les Frères musulmans et l'armée sur la nouvelle Constitution

Alors qu'ils ont remporté les législatives, les Frères musulmans accusent l'armée de vouloir marginaliser leur voix dans la rédaction de la future Constitution. La Confrérie a décidé de boycotter la commission chargée de l'élaboration du texte.

AFP - Les Frères musulmans, en tête dans les législatives égyptiennes, sont entrés en conflit jeudi avec l'armée au pouvoir, accusée de vouloir contrôler la rédaction de la future Constitution au détriment d'un Parlement en passe d'être dominé par les islamistes.

La confrérie a décidé de ne plus participer aux discussions avec les militaires pour la formation d'un conseil consultatif, composé d'intellectuels et de personnalités politiques, chargé de préparer l'avenir institutionnel du pays.

"Le Coran est notre Constitution"

Créée en 1928 par Hassan al-Banna (1906-1949), grand-père maternel du théologien controversé Tariq Ramadan, la confrérie des Frères musulmans naît au crépuscule de la colonisation britannique en Égypte, afin de lutter contre "l’emprise laïque occidentale et l’imitation aveugle du modèle européen".

Aux aspirations nationalistes de ceux qui réclament le départ des Européens, les Frères opposent un slogan toujours en vigueur : "Le Coran est notre Constitution." Leur objectif est, à ce jour, inchangé : instaurer un État islamique fondé sur l’application de la charia.

Sous Hosni Moubarak, les Frères musulmans étaient officiellement interdits dans le pays, mais tolérés dans les faits. 

Ils dénoncent les propos rapportés par la presse d'un membre du conseil militaire au pouvoir, le général Mokhtar el-Moulla, affirmant que le futur Parlement ne "serait pas représentatif de tous les Egyptiens".

Le général, dans ces déclarations à des journaux anglo-saxons très commentées en Egypte, estime en conséquence qu'il ne faut pas laisser aux seuls parlementaires le soin de composer la commission qui rédigera la Constitution.

Le gouvernement, de fait sous la tutelle du conseil militaire au pouvoir, et le futur conseil consultatif, interlocuteur de l'armée, auront aussi leur mot à dire, a-t-il assuré.

Une telle perspective réduirait considérablement la capacité des islamistes d'influer sur l'élaboration de la future Constitution, une étape cruciale dans la définition de l'équilibre des pouvoirs après la chute du président Hosni Moubarak en février.

Elle pourrait répondre aux craintes des milieux libéraux et laïques, des chrétiens d'Egypte et des militaires face à la possibilité de voir les islamistes définir la future loi fondamentale suivant leurs principes politico-religieux.

Les Frères musulmans et leur formation politique, le parti de la Liberté et de la Justice (PLJ), y voient en revanche une tentative de "marginaliser" un Parlement à majorité islamiste, et de pérenniser le pouvoir du Conseil suprême des forces armées (CSFA), à la tête du pays depuis février.

Les diverses formations islamistes ont remporté au total 113 sièges sur 168 en lice pour les deux tours de la première phase de l'élection, selon les résultats rapportés par la presse jeudi.

Les Frères musulmans se taillent la part du lion, avec 80 sièges, suivis par le parti salafiste (fondamentaliste) al-Nour (La Lumière) avec 33 sièges, lors des deux tours qui se sont tenus les 28-29 novembre et les 5-6 décembre.

Les partis libéraux laïques obtiennent quant à eux 33 sièges, le reste allant à des candidats indépendants ou de petites formations.

Les chiffres pouvaient varier légèrement d'un quotidien à l'autre, chacun faisant ses propres calculs par parti sur la base de données brutes fournies par la commission électorale, sans toutefois remettre en cause les grandes tendances.

Ces résultats concernent un tiers des gouvernorats d'Egypte, dont les grandes villes du Caire et d'Alexandrie, où était organisé le vote. Les autres régions doivent élire leurs députés à partir du 14 décembre et jusqu'au 11 janvier.

Les partis islamistes comptent sur leur forte implantation dans les nombreuses régions rurales qui vont voter dans les prochaines semaines pour consolider leurs gains.

La percée des salafistes, tenants d'un islam rigoriste, avait surpris rivaux et analystes lors de la première phase du vote.

Au second tour, les Frères musulmans, qui ont tissé depuis plus de 80 ans d'importants réseaux dans la société égyptienne, ont toutefois creusé leur avance sur ces nouveaux venus sur la scène politique.

Les Frères musulmans ont également tenu à se démarquer des salafistes, en se présentant comme les tenants d'un islam "modéré" et en n'excluant pas de nouer des alliances au-delà de la mouvance islamiste.

Le bon score du parti des Frères musulmans face aux salafistes au second tour montre que "les électeurs votent pour les Frères par peur des positions radicales des salafistes", titrait jeudi le quotidien indépendant al-Masry al-Youm.

L'élection des députés du plus peuplé des pays arabes, avec plus de 80 millions d'habitants, sera suivie de la fin janvier à la mi-mars par celle des sénateurs.

Il s'agit de la première élection en Egypte depuis la chute du président Moubarak, balayé par le "Printemps arabe".

La participation, de 52% au premier tour, a marqué le pas au second tour, avec officiellement 39% d'électeurs qui se sont rendus aux urnes lundi et mardi.