
Une manifestante scandre des slogans devant le Parlement à Katmandou, au Népal, le 8 septembre 2025, lors d’un rassemblement de la Gen Z. © Prabin Ranabhat, AFP / Studio graphique FMM
Ils et elles étudient à Rabat, cherchent un premier emploi à Katmandou, vivent au rythme des coupures d'électricité à Antananarivo ou dénoncent l'insécurité à Lima. En 2025, la génération Z - les jeunes nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010 - ont partagé une expérience commune : la colère, le rejet des élites jugées déconnectées, et la volonté de reprendre la parole.
Dans des pays éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, les images se sont répondues. Des foules jeunes, des pancartes peintes à la main, des slogans viraux nés sur TikTok ou Discord, et des revendications simples. "C'est une génération qui n'agit pas seulement pour elle-même, mais pour que tout le monde ait accès à l'éducation, à la santé, au logement, et pour en finir avec des pouvoirs plus ou moins corrompus", résume le sociologue Michel Wieviorka, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). “C'est une contestation portée par des valeurs universelles."
La contagion d'une jeunesse organisée
Tout démarre à la fin de l'été en Indonésie. À Jakarta, l'annonce d'allocations de logement pour les députés, près de dix fois supérieures au salaire minimum, agit comme un déclencheur. Les étudiants descendent dans la rue. Dans les cortèges, un symbole s'impose : le drapeau pirate du héros de One Piece, manga le plus vendu de l'histoire, qui deviendra l'emblème de la révolte de la génération Z.
Pour afficher ce contenu YouTube, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixUne extension de votre navigateur semble bloquer le chargement du lecteur vidéo. Pour pouvoir regarder ce contenu, vous devez la désactiver ou la désinstaller.
Réessayer
En septembre, le mouvement prend une ampleur spectaculaire au Népal. Des vidéos virales sur Instagram et TikTok exposent le train de vie des "nepo-kids", tandis que le gouvernement bloque une vingtaine de plateformes numériques. La colère explose à Katmandou : le Parlement est incendié. Pendant deux jours, le pays vit de violentes émeutes.
L'onde de choc atteint ensuite l'Afrique. Dans la capitale malgache Antananarivo les manifestants ne dénoncent plus seulement les coupures d'eau et d'électricité, mais réclament aussi la démission du président. "On ne demande pas le luxe, juste de quoi vivre dignement", scandent les manifestants, souvent étudiants ou jeunes travailleurs précaires.
Au Maroc, la mobilisation change de forme. Le collectif Gen Z 212 – en référence à l'indicatif téléphonique du pays –, structuré sur Discord, coordonne les appels à manifester et impose ses thèmes : réforme de l'école, accès aux soins, justice sociale. Sur le continent américain enfin, la jeunesse péruvienne se mobilise de Lima à Cusco contre l'instabilité politique, la corruption et l'insécurité record.
Si les revendications diffèrent, le cadre est commun. "Ce sont des pays où la démocratie, si elle existe, reste illibérale ou peu libérale", analyse Michel Wieviorka. "Ce sont aussi des régimes plus ou moins autoritaires, où le pouvoir répond par la répression, alimentant une spirale de violence." Le bilan est lourd : une dizaine de morts en Indonésie, au moins trois au Maroc et cinq à Madagascar. Au Népal, c'est le choc : au moins 76 morts et plus de 2 000 blessés selon la police.

Des victoires et des déceptions
Malgré la répression, la Gen Z marque des points. La contestation au Népal provoque la chute du gouvernement. Fait inédit : une Première ministre intérimaire, l'ex-cheffe de la Cour suprême Sushila Karki, est désignée après un vote organisé sur Discord. Une commission d'enquête est chargée de faire la lumière sur la mort des manifestants. Pour la jeunesse népalaise, c'est une victoire : pour la première fois, une mobilisation numérique et de rue débouche sur une transition politique tangible.
À Madagascar, le scénario laisse un goût amer à la jeunesse malgache. Après plusieurs semaines de manifestations, le président Andry Rajoelina est renversé par un coup d'État des autorités militaires. Mais le gouvernement formé reste dominé par un acteur bien connu de la vie politique de l'île : l'armée. "Les militaires ont récupéré une contestation qui n'avait pas réussi à se constituer en force politique", souligne Michel Wieviorka.
Au Maroc, la contestation n'ébranle pas la monarchie mais oblige le pouvoir à réagir. Le cabinet royal annonce des mesures de modernisation et des investissements dans les hôpitaux et les écoles. Une reconnaissance implicite de la légitimité des revendications. Mais la répression tempère l'élan : 1 473 jeunes sont encore détenus, dont 330 mineurs, selon les chiffres officiels.
Souffle durable ou vague éphémère ?
Au Népal, la mobilisation ne retombe pas. En mars 2026, des élections législatives anticipées doivent se tenir. "On est dans la deuxième phase du mouvement", explique à l'AFP Yujan Rajbhandari, un manifestant. Désormais, la priorité est l'inscription sur les listes électorales et la lutte contre la corruption. "On n'arrêtera pas", promet-il.
Ailleurs, l'avenir est plus incertain. "Ce mouvement peut perdurer et produire des effets durables, ou au contraire dépérir dans son ensemble", estime Michel Wieviorka. "Il n'y a pas de règles."

L'histoire récente invite à la prudence. Des printemps arabes aux "indignés" espagnols, d'Occupy Wall Street à Nuit debout, les mouvements surgissent, s'essoufflent, laissent parfois des traces durables, parfois non. Pour Michel Wieviorka, "les mouvements sociaux ne sont pas éternels".
Une chose distingue toutefois la Gen Z : sa capacité à s'organiser, à imposer ses thèmes et à obtenir des concessions sans chercher immédiatement à prendre le pouvoir. "Ils n'ont pas de plateforme politique construite, mais ils ont un horizon clair : celui d'un changement profond", conclut le sociologue.
