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À Casablanca, le quartier de Sidi Moumen résigné à l'approche des législatives

, envoyé spécial au Maroc – À l'approche des élections législatives qui auront lieu vendredi, les habitants de Sidi Moumen, l'un des quartiers les plus pauvres de Casablanca, n'attendent plus rien de la classe politique marocaine. Reportage.

Sidi Moumen, qui a vu grandir les auteurs des attentats de Casablanca (mai 2003), est l'un des quartiers les plus pauvres de la capitale économique du Maroc. Niché à quelques encablures de bidonvilles insalubres, son marché central accueille les mères de famille venues s'approvisionner avant le déjeuner. Les carrioles chargées de légumes y côtoient les échoppes des volaillers et les étals colorés des épiciers. Mais mercredi, à deux jours des élections législatives du 25 novembre, le moral en berne des habitants tranche avec les couleurs flamboyantes des épices locales. Seules des affiches électorales placardées sur quelques vitrines rappellent la tenue imminente du scrutin, organisé à la suite de la réforme constitutionnelle initiée par le roi Mohamed VI et massivement approuvée par référendum, le 1er juillet.

Mais pas de quoi mobiliser les habitants résignés de Sidi Moumen, qui vivent bien en deçà du seuil de pauvreté, malgré les efforts des autorités pour développer leur quartier. "Je ne vais pas voter vendredi, je ne compte que sur moi-même pour assurer l'avenir de mes enfants. Le reste ne m'intéresse pas", assure Moutay, un vendeur de bananes à la longue barbe noire. Le vendeur de légumes voisin acquiesce. Selon Moutay, les élections ne changeront rien pour les classes populaires. "Les candidats se ressemblent tous, ils ne pensent qu'à s'enrichir sur le dos des pauvres", peste-t-il.

Un avis que partage Mohamed, un vendeur de tissus âgé de 21 ans difficile à réconcilier avec la classe politique du Royaume. "Comme d'habitude, les hommes politiques s'intéressent subitement à notre sort en période électorale, déclare-t-il. Une fois que le scrutin est clos, ils disparaissent aussi vite que l'éclair et on ne les revoit plus avant longtemps." Après avoir échoué au bac, Mohamed est venu s'installer à Sidi Moumen afin de subvenir aux besoins de ses parents. Il gagne 1 000 dirhams par mois - soit environ 100 euros.

"Cela ne changera rien à ma situation"

Interrogé sur les revendications du "Mouvement du 20-février" (regroupement de jeunes, de radicaux de gauche et d’islamistes qui réclament des réformes politiques et dénoncent la corruption), il affirme en avoir beaucoup entendu parler. Cinq à six mille personnes ont manifesté dimanche dans le centre de Casablanca pour le boycott des législatives, à l'appel du mouvement. "Beaucoup de Marocains sont d'accord avec les revendications de ce mouvement, car elles sont justes. Toutefois, je ne suis pas d'accord avec leur appel à boycotter le scrutin."

Mohamed n'ira pas voter vendredi pour des raisons "d'ordre géographique", malgré son envie d'accomplir son "devoir de citoyen". Étant en effet originaire de Marrakech, où se situe son bureau de vote, il ne compte pas faire le voyage vendredi.

De son côté, Idriss, la cinquantaine, est déterminé à voter pour les islamistes du Parti justice et développement (PJD), la première formation d'opposition qui compte actuellement 47 députés. "Je vote habituellement pour eux, pour des raisons morales et parce que ma famille vote également pour eux, explique le vendeur d'agrumes. Ils sont les seuls qui ne sont pas corrompus à mes yeux." La "corruption" : un mot qui est sur toutes les lèvres à Sidi Moumen.

Plus loin, Aïcha, une veuve d'une quarantaine d'années, presse le pas dans les dédales du marché. Sous un voile couleur prune, elle tente de cacher sa misère. "Depuis le décès de mon mari, je dois subvenir toute seule aux besoins de mes enfants, dit-elle en serrant son porte-monnaie. J'irai voter vendredi, car c'est un droit et un devoir. Mais je ne suis pas dupe, cela ne changera rien à ma situation."

Comme la majorité de ses concitoyens, Aïcha est très attachée à Mohamed VI, commandeur des croyants. "Je sais que notre roi, Dieu le préserve, essaye d'aider les plus pauvres et j'ai voté pour sa nouvelle constitution. Mais ce sont surtout les gens situés au-dessous de lui qui profitent de leur pouvoir pour s'arroger des privilèges", conclut-elle.