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"Le prince héritier Nayef prône une politique plus offensive envers l’Iran"

Ministre de l'Intérieur depuis 36 ans, Nayef ben Abdel Aziz a été désigné prince héritier d’Arabie saoudite. Pour comprendre les enjeux de cette succession, Karim Sader, consultant spécialiste du Golfe répond à FRANCE 24.

Nayef ben Abdel Aziz al-Saoud, 78 ans, a été désigné, le 27 octobre dernier, prince héritier d’Arabie saoudite, suite au décès de son frère Sultan, survenu la semaine dernière aux États-Unis. Ministre de l’Intérieur depuis 36 ans, il prendra la place du roi Abdallah lorsque ce dernier, âgé officiellement de 87 ans, disparaîtra. Pour comprendre les enjeux de cette succession, Karim Sader, politologue et consultant spécialiste des pays du Golfe répond aux questions de FRANCE 24.

FRANCE 24 : Comment le prince Nayef est-il parvenu à se hisser dans les hautes sphères du royaume ?
Karim Sader : Devenu au fil du temps l’un des hommes les plus puissants et influents du royaume wahhabite, le prince héritier Nayef a été associé très jeune aux hautes sphères du pouvoir. Nommé gouverneur de Riyad à seulement 20 ans, puis vice-ministre de l'Intérieur en 1970, il prend la tête de ce ministère-clé en 1975 pour ne plus le lâcher. C’est grâce à ce poste qu’il a bâti sa légitimité et musclé son autorité en s’employant à protéger le royaume et les intérêts de la famille royale. Il s’est notamment illustré en menant une lutte sans merci contre le réseau terroriste al-Qaïda, qui avait menacé le royaume entre 2003 et 2006, et dont il est parvenu à repousser les chefs au-delà des frontières du pays, au Yémen voisin. C’est cette image de "Monsieur sécurité" qui l’a rendu populaire dans le pays. Enfin, en le nommant vice-Premier ministre en 2009, son demi-frère le roi Abdallah l’a placé au deuxième rang dans la course à sa succession.
F24 : Son appartenance au clan des Soudeiri a-t-elle été décisive dans cette ascension politique?
K.S : C’est indéniable, la fratrie des Soudeiri, qui tire son nom de Hassa al-Soudeiri, l’épouse favorite du roi fondateur du royaume Ibn Saoud, est l’une des plus puissantes du royaume. Et pour cause, afin de récompenser sa belle-famille qui l’a aidé à s’asseoir sur le trône d'Arabie saoudite au début des années 1930, Ibn Saoud a souhaité que les fils de Hassa soient nommés aux principaux postes clés du royaume, notamment dans le secteur militaire. Ainsi, outre Nayef, désormais futur monarque, il y avait aussi l’ex-prince héritier et ministre de la Défense, Sultan, décédé le 22 octobre à New York. Son frère, le prince Salman, actuel gouverneur de Riyad, devrait vraisemblablement lui succéder à la tête de ce ministère. Enfin, n’oublions pas que le frère aîné de cette fratrie – composée de sept frères -, le roi Fahd, a régné sur l’Arabie saoudite de 1982 jusqu’à sa mort en 2005.
F24 : Le prince Nayef, souvent décrit comme conservateur, peut-il remettre en question les réformes menées par le roi Abdallah, une fois sur le trône ?
K.S : Le nouveau prince héritier est franchement conservateur. Proche des milieux religieux opposés aux réformes, il appartient incontestablement à l’aile dure du royaume. Mais il ne faut pas tomber dans la caricature, car il peut aussi se montrer pragmatique. Notamment pour ne pas apparaître comme celui qui a mis un terme à la dynamique réformiste instaurée par le roi Abdallah. Il ne pourra pas facilement remettre en question ce qui a déjà été accompli. Néanmoins, il faut relativiser l’idée selon laquelle, il pourrait se sentir contraint d’approfondir cet élan réformiste du fait des soulèvements arabes.
F24 : Quelles conséquences peut avoir, sur le plan régional, une éventuelle accession au trône du prince Nayef ?
K.S : La politique étrangère est le talon d’Achille du roi Abdallah. C’est sous son règne que l’Arabie saoudite, pilier de l’islam sunnite, a perdu pied face à la montée en puissance de l’Iran chiite au Moyen-Orient. Que ce soit par exemple au Liban, où le Hezbollah -parrainé par le régime iranien- est omnipotent, ou en Irak où les chiites sont au pouvoir au détriment des sunnites désormais marginalisés, l’Iran a étendu son influence non sans afficher ses appétits nucléaires. Or justement, Nayef est un farouche adversaire des mollahs iraniens et de l’islam chiite. Il prône une politique plus offensive pour contrecarrer les ambitions de l’Iran, comme l’exige une large frange de responsables du royaume. Son demi-frère Abdallah est jugé plus modéré sur cette question. Son accession au trône pourrait intervenir au même moment qu’un éventuel retour des Républicains américains à la Maison Blanche en 2012. Un front américano-saoudien, composé de "faucons" de part et d’autre, pourrait alors relancer le scénario des frappes contre les installations nucléaires de l’Iran. Et par conséquent, tendre un peu plus les relations entre chiites et sunnites dans la région.