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Les dissensions politiques compliquent la gestion des inondations

Face à la pire catastrophe naturelle que la Thaïlande a connue depuis des décennies, la Première ministre Yingluck Shinawatra, soutenue par les masses rurales et populaires, se heurte à une opposition proche du Palais, des élites et de l'armée.

AFP - La Thaïlande lutte depuis des semaines contre des inondations qui feront date dans son Histoire, mais à la bataille des eaux s'est ajouté un affrontement entre dirigeants, qui souligne la profondeur de la fracture politique dans le pays.

Depuis que les plaines centrales du pays ont été noyées sous les eaux, le pouvoir est apparu au mieux désorganisé, au pire profondément divisé.

Avec, en filigrane, la défiance et le ressentiment entre le gouvernement de Yingluck Shinawatra, soutenu par les masses rurales et populaires du pays, et l'opposition démocrate, proche des élites de la capitale, du palais royal et des militaires.

Tous ces acteurs de l'échiquier politique ont tenté d'engranger des points, avançant des chiffres, critiquant l'adversaire, défendant des options. Quitte à plonger Bangkok dans le plus grand flou.

"C'est devenu une sorte de jeu politique", regrette Aswin Kongsiri, influent homme d'affaires thaïlandais. "Il est très difficile de savoir qui exactement connaît les faits, et qui sait ce qu'il faut faire. (...) Ils n'ont pas été fichus d'avoir des estimations réalistes".

Novice en politique, élue en juillet dernier avec le soutien de son frère, l'ex-Premier ministre en exil Thaksin Shinawatra, Yingluck n'a eu que quelques semaines pour prendre ses marques.

Début octobre, les masses d'eaux qui s'étaient accumulées au cours d'une mousson surabondante sont devenues trop dangereuses.

Et Bangkok a dû se résoudre à prêter ses fleuves et canaux pour évacuer le flot vers la mer, quitte à se retrouver à son tour les pieds dans l'eau.

La chef du gouvernement a été prise en étau entre les demandes de son électorat, en partie inondé, et celles de la capitale, fidèle aux Démocrates, qui voulait se protéger coûte que coûte.

Ses relations avec Sukhumbhand Paribatra, gouverneur de Bangkok, ont tourné au vinaigre. "N'écoutez que moi. Je vous dirai quand il faudra évacuer", a déclaré le cadre du parti démocrate.

"Je ne veux pas entendre parler de l'autorité de Bangkok", s'est emportée pour sa part la Premier ministre, exigeant que personne ne "travaille indépendamment".

La coopération n'a guère été plus fluide avec l'armée, dont la capacité logistique était indispensable pour venir en aide aux sinistrés mais dont les relations avec Thaksin, et par extension avec sa soeur, sont notoirement exécrables.

Yingluck a rejeté les demandes de l'opposition d'instaurer l'état d'urgence et de laisser l'armée gérer la crise.

Des médias affiliés aux "chemises rouges", fidèles à Thaksin et qui avaient paralysé le centre de la capitale au printemps 2010 pour faire tomber le gouvernement démocrate, ont pour leur part évoqué le risque d'un "coup d'Etat aquatique".

Un an et demi après l'assaut de l'armée contre les manifestants et une crise qui a fait 90 morts, les "rouges" l'ont accusée de laisser sciemment la situation empirer pour mieux reprendre le pouvoir.

Une hypothèse exclue par Paul Chambers, de l'université Payap de Chiang Mai (nord). "Mais il semble que l'armée essaye de lutter contre les inondations, sans coopérer avec le gouvernement Yingluck", a-t-il convenu.

"Clairement, la direction militaire anti-Thaksin n'est pas proche de la Premier ministre pro-Thaksin".

Aujourd'hui, Yingluck est devenue une cible constante, même si les experts accusent des décennies de développement mal maîtrisé et une administration étrangement passive.

Le fossé politique, assurément, restera bien après le retrait des eaux boueuses de la mousson.

"Ce n'est plus seulement un problème de catastrophe naturelle. C'est devenu un jeu politique féroce", estime Pavin Chachavalpongpun, de l'Institut des études sur l'Asie du Sud-Est à Singapour.

"C'est une société profondément fragmentée, dans laquelle les idéologies politiques font de l'ombre à la responsabilité publique et à l'urgence de la survie nationale".